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Asseyons-nous.
Au centre de la ville,
tandis qu’un soir laisse tomber
sur nous
sa douceur,
rapprochons-nous.
La dispersion part en vacances.
L’invisible domaine,
chaque instant plus vaste,
de la beauté
nous attire,
nous replace,
nous reprend.
La langue qu’on y parle
frappe à nos lèvres.
Entretenons-nous.
***
Les premiers mots qui affleurent
sont termes de solitude.
L’abandon est mon trésor,
la moisson mon avenir.
La ville nous appartient
si la beauté est ma fille.
Dans la clarté de la nuit
une absence resplendit,
dans le silence du jour
une présence s’exprime.
Dans la splendeur d’être seul
je vois un peuple se dire
et connaître sa princesse.
***
Tiens dans ta main
ce collier de perles
enfilé de nos oui
comme de nos non.
Faisons-le reluire :
le voici
neuf comme le premier jour.
Entre nous,
autour de lui,
s’étend la ville,
s’élargit l’espace,
s’élève la foule,
chacun de nos enfants.
Dans nos bras,
comme une aurore,
les nations de la terre.
***
Nous voici,
parvenus à un point où tout se brise,
où le conquérant
laisse se dresser la terre conquise,
où l’effort
se retire.
L’humanité ne s’affirme plus,
elle contemple.
Est-ce le ciel,
qui vient se poser
et s’abandonne aux vagues qui ondulent ?
Le silence et son écho
entendent,
à l’horizon,
du soleil couchant
la promesse.
***
Voguons,
en haute mer,
tout contrôle aboli.
Déployons nos voiles,
à la merci d’un vent
qui lui-même
ne sait où il nous pousse.
Passe son étreinte,
chaleur,
lumière,
de lui à nous.
Surpris
par les mesures de nos voiles,
il nous entraîne
sur des mers qu’il découvre,
ou que, par notre intimité,
il crée.
***
Attrait
exercé sur nous
par la substance de la terre.
Dans notre échange,
moment
unique
qui de nous ne connaît
que la relation.
Lumière subtile,
qui nous demande.
Ciel voilé,
dépourvu de ses atours,
qui offre
sa pureté.
***
Tandis que le sable brille
et renvoie dans nos yeux
le reflet l’un de l’autre,
une personne,
l’univers en elle,
prend sa place entre nous.
Tous nos sens lui appartiennent.
Le monde autour de nous
se réalise en son sein.
L’instant
absorbe
les heures de l’infini.
Libérée
par les liens que nous tissons,
elle se tient là,
devant l’océan, qui scintille
et semble se répandre sur la terre
par elle.
***
Rendons à la beauté
ce qui lui appartient :
les mots que dans notre entretien
elle nous a soufflés,
les gestes que dans notre maison
elle nous a suggérés,
les pensées que dans notre entente
elle nous a inspirées,
ce qui nous unit,
ce qui nous éloigne.
Se tenant entre nous,
elle nous regarde :
voici mon domaine,
dit-elle,
il est à vous.
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Le temps
prend soin de l’homme,
l’entoure de son aridité,
l’entraîne sur une longue route dépouillée,
de sa destination lui brouille la vue,
le tient
dans un sur-place qui fuit sans cesse.
Il le veut sans désir
sans rêve
sans foi
lui dit de marcher
sans demander
sans regarder
sans écouter.
L’homme,
de toute sa pensée,
embrasse
l’absence
le silence
l’inexistence
et la durée de tout son cœur.
***
Dans l’instant
le temps oublie l’homme.
Il devient
en détresse
allégresse
en faiblesse
délicatesse.
Dans la mémoire
l’homme forge l’instant.
Il revient
par attention
à conviction
par émotion
à création.
Dans le désir
l’instant achève le temps.
Il advient
d’enfance
en croissance
de croyance
en alliance.
***
À l’aube
le cœur au travail
salue
à peine éveillée l’intelligence
lui donne
la joie
et la lumière.
Tout au long de la journée se déroule
faite de l’intelligence et du cœur
la pensée
qui en eux se reconnaît
se complaît dans leur amour
se libère
dans leur lumière.
Le soir
dans l’attente
du repos
de la détente
la pensée
livre sa parole
à la lumière.
***
Légère
la lueur
hardiment
le rejoint,
joliment
le réjouit
dans un épanchement de lumière.
Au commencement
fragilité
obscurité
opacité,
par la suite elle s’était,
étreinte par lui,
en paternité transfigurée.
Éteinte ou allumée,
perceptible
ou cachée,
forte
ou faible,
elle est là
pour lui.
***
Reste la lumière.
Le cœur s’est anéanti
l’intelligence se brise
la pensée se tourne vers
une perfection
de rupture
assimilée à la lumière.
Par cette naissance
la pensée
faite d’abîme et de ciel
d’oubli et de mémoire
de vérité
et d’attente
est confondue dans la lumière.
Le doute
perdu dans le néant du cœur
devient
adhésion
vive pensée
gratitude
ruissellement de la lumière.
***
Le néant du cœur appelle
le néant de l’intelligence.
Assaillie de toutes parts
seule
elle décide
de se laisser faire
par la lumière.
Tout est devenu noir.
Elle sait
que sa place est ici.
Elle ignore
quelles paroles proférer.
Elle s’en remet
à la lumière.
Instant fragile.
Elle sait
qu’il faut demeurer néant
qu’il faut céder la place
à la pensée celle qui rassemble
les éclats
de la lumière.
***
Voici le cœur
autre que l’intelligence.
Ils se tiennent à distance
veulent l’absurdité.
Ce choix les rapproche
les introduit dans une pensée
qui n’est plus que lumière.
Pensée du feu
qui sépare
pensée du vent
qui crée.
Voici l’homme
autre que la lumière.
Ils se tiennent à distance
veulent l’obscurité.
Ce choix les rapproche
les introduit dans une parole
qui n’est plus que lumière.
Parole du feu
qui sépare
parole du vent
qui crée.
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L’intelligence
cherche le doute.
Il est sa lumière.
Elle le veut, l’appelle, le crie !
Elle n’entend plus le cœur
délaisse la douceur
s’enfonce dans le noir.
Elle est solitude
arrachement
faiblesse qui se tient debout.
Guidée par le vide
elle donne le tout.
Elle est
transparence.
À ce point elle est le cœur.
Il est en elle,
sa conviction.
Pensée aimante
ouverte
que le doute cherche
et conforte.
***
Devant la pensée :
un espace immense et vide
offert à sa liberté.
Imprégnée de tendresse
et d’inquiétude
elle dispose du langage
dans le présent et dans l’avenir.
Elle crée,
par l’incertitude,
par le tourment,
par le vide,
par la mémoire.
Dans le creuset de ses paroles
elle se repose.
En elle la mémoire accomplit le doute.
Le souvenir contemplé
de mots lumineux
menacés
leur donne une fraîcheur inconcevable.
La pensée les égrène
dans le sein de la vérité.
***
Le cœur
et sa brusque douceur
révèlent à l’intelligence
la vérité qui vit en elle.
Âpre exaltation
qui engendre des mots
à toute épreuve.
L’intelligence rejoint son passé.
Comme d’une brume
peu à peu se détache
la vérité.
La recherche n’est pas solitaire :
les contraintes du cœur
l’accompagnent.
Dans les paroles
la vérité donne son corps.
Elle souffre,
elle a soif,
elle crie,
jusqu’à étreindre de bonheur
l’intelligence et le cœur.
***
La vérité va son chemin
ferme et concrète.
Elle a pris par la main
l’intelligence
ne la lâche ni ne la presse.
Empruntant sa cadence
elle lui tient compagnie.
Elle lui donne son silence
dépose en elle
ses questions
ne lui cache pas
ses blessures
laisse traîner
des indices.
Le temps
recrute l’intelligence.
Il s’allonge ou s’écourte
selon la liberté
ou la conscience.
Par lui se manifeste
la caresse de la vérité.
***
Conscience de la vérité
et de la distance
et de l’unité
qu’entre cœur et intelligence
elle crée :
état cordial
de la pensée.
La vérité chasse la pensée
loin de sa contemplation
pleine.
Elle l’exile
dans les solitudes intellectuelles
et vitales.
Recherche extrême.
Comblée
par un cœur absent
qui ne cesse de l’étreindre,
amoureuse
des espaces ignorés
qui déjà la reconnaissent,
la pensée exulte.
***
Le temps
soudain
comble l’intelligence d’une immensité de lumière.
L’homme
l’accueille remercie infiniment
et la donne la donne encore et encore
à la vérité.
Puis il se pose dans le temps
qui lui impartit
attente
détente
entente
oriente son aventure
cisèle sa patience.
Il y a un bonheur du temps :
ce qu’il n’apporte il le multiplie.
Il y a une douleur du temps :
ce qu’il promet il ne le livre pas.
Dans son écoulement
l’homme perçoit
les ondes légères de la vérité.
***
Il entend
la douleur du temps l’appeler.
Elle est la solitude
où il veut s’égarer,
la mort
qu’il veut traverser,
l’instant de choix.
Il écarte
fleurs odorantes
épines blessantes
liqueurs enivrantes.
Derrière leurs apparences
il surprend
le visage émacié du temps.
Il désire
ses traits
farouches
ses mouvements
grotesques.
Il entre
en persévérance.
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Il interroge la lumière :
D’où vient-elle ?
Pourquoi le comble-t-elle ?
Il n’obtient en réponse
qu’elle-même :
Suis-moi
semble-t-elle lui dire.
Lumière certitude
sinon il ne la suivrait pas.
Lumière incertitude
sinon il ne la croirait pas.
Mélange qui le bouleverse,
et le fascine.
Doute
visage de clarté.
Hésitation
signe de reconnaissance.
Commence une aventure.
Doute inquiétude
sinon l’homme ne le penserait pas.
Doute quiétude
sinon il ne le regarderait pas.
***
Doute paisible comme la lumière.
Lumière inquiète comme le doute.
L’homme l’aborde.
Éviter la question il ne veut pas.
Il avance
pour cheminer jusqu’au bout avec
cette interrogation pareille à une lueur.
Il la suit
sans savoir pourquoi.
Simplement elle lui montre la route.
Aux intersections elle s’éteint.
À lui seul de choisir la voie.
Comme si elle avait coulé en lui
il devient lueur à son tour.
Être lueur pour son doute :
compétence de l’homme alors ?
Reste silencieuse ô ma question !
Lorsque tu as surgi
j’ai reçu le rôle de réponse.
Plus tu te tais
plus je t’étreins.
***
Lumière intense
tombée de haut
au carrefour des hommes.
Dans son rayonnement
nulle hésitation.
Aucune question
dans sa limpidité.
Mais parfois dans sa finesse
elle s’esquive.
Ses amoureux
vainement la cherchent.
Dans son éclipse
ils apprennent
sa tendresse.
Lumière noire,
ou muette,
brisée,
ou délaissée.
Les hommes dans sa blessure
l’embrassant
la diffusent.
***
Un cœur berce la pensée.
L’homme n’y croit pas,
il veut tout maîtriser.
Mais au détour d’une idée
la force
cède la place
à la faiblesse.
Attendrir l’intelligence :
changer sa parole
en écoute.
Le cœur la cherche,
lui donne une suite de lueurs
qui ébauchent
un paysage crédible.
La pensée comme un éclair
revient,
donne un mot,
le cœur le saisit, le transforme,
l’ouvre sur un espace
étincelant
de liberté.
***
Liberté :
floraison
du cœur et de la pensée.
Pour qu’elle s’accomplisse
ils veulent ensemble
sceller une alliance.
Ils s’y tiennent.
Vide la pensée
reçoit un printemps
généreux.
Son langage
imprégné des pollens du cœur
émane du pacte.
Elle écrit.
Il attend,
se tait,
donne
l’entière diversité de ses mots
à la pensée.
Qui donc de lui ou d’elle
déploie ses pétales ?
***
La distance
habite
entre cœur et intelligence.
Perle qui les blesse
elle les rapproche.
Ombre qui les émeut
elle les illumine.
Ils ont rendez-vous dans sa demeure.
Elle les invite,
elle les inquiète.
Ils l’interrogent,
veulent la connaître.
Elle les attire
dans les recoins les plus obscurs.
Ils apprennent l’un de l’autre
à penser dans le noir.
Ne se possédant pas
ils s’éclairent.
Cette maison est la leur.
Ils en explorent
les distances infinies.
***
Le cœur s’est tourné vers le doute
la pensée vers la lumière.
Quand ils regardent ensemble
le cœur voit clair
la pensée un peu moins.
Quelle est cette avancée
qui semble un recul pour elle ?
Du cœur elle ne peut se passer.
Si la lumière la délaisse
elle se tient près de lui.
Les doutes du cœur
deviennent les questions de la pensée :
contre toute attente
ils l’éclairent.
Elle apprend la douceur
de voir dans l’obscur.
Elle écoute le cœur
qui bat
au rythme des doutes
et qui lui distille
des larmes de sagesse.
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De la rose au baiser
CHAOS
Une femme.
La fille l’épouse la mère.
L’une de nous.
Se donne.
Intelligence éprise de différence,
rose rouge offerte à tous les êtres,
entière pour chacun.
***
Libres.
Un pacte les distingue !
Dans le sein de la mère
ils sont.
Éternité.
Baiser qui se pose
sur les lèvres du monde.
***
L’épouse comprend.
Dans sa pensée
ils sont
séparés.
Jamais aussi proches.
Graine enfouie
qui bonifie sa terre.
***
La fille écoute.
Voix soudaine
lui demande
tout.
Elle adhère.
Feuille légère
soulevée par le vent.
***
Nous, ordinaires,
reçus
à la pointe d’un accord.
Est-ce
la formation d’un corps ?
Crème fondante
sur le bout de ma langue.
***
Intelligence :
l’inattendue dans le corps.
Offrande fine.
Amoureuse explication
qui avec assurance déroule son fil.
Poussière d’or
versée dans nos mains.
***
Différence :
parure précieuse
de l’unité,
arrangée
par la sagesse.
Nappe damassée
sur une table servie.
***
SÉPARATION
La création
dans sa finesse extrême
se donne
à une forme humble
de la parole.
Terre
qui se sépare des eaux.
***
La création
en vue de son fruit
se donne
en tout temps
à son créateur.
Terre
au moment de sa beauté.
***
La création
à l’incréé
se donne
reconnue
comme son appelée.
Terre
en suprême liberté.
***
La création
une
se donne
en attente
à l’époux.
Terre
d’une infinie dignité.
***
La création
informe
se donne
à un jour
mis de côté.
Terre
de la distincte lumière.
***
La création
du fond des mers
se donne
à un vent
turbulent.
Terre
des espèces animées.
***
La création
dans son pouvoir
se donne
humanité
à sa ressemblance.
Terre
de la féconde semence.
***
HUMANITÉ
Lorsque se consume l’amoureuse clarté de la création,
sans réserve se livrent de l’un à l’autre les êtres humains.
Ils sont de la solitude et de la rencontre les interprètes,
du jeu de la terre ainsi poursuivi les perdants et les gagnants.
Exposés à la défaite, ils affluent sur le lieu de l’élection,
vainqueurs ils se haussent au niveau de la compagnie des perdants.
Ils sont les créatures qui portent le créé et l’incréé.
***
La nature de tout cœur se libère de ce qu’elle chérit
et le laisse ou le porte au sommet de son art ou de sa passion.
Imprégnée de lumière elle s’abandonne à une autre saison
qui ardente l’invite à déceler ses couleurs et ses parfums.
L’objet de son amour, livré à une pensée imprévisible,
distille debout la substance du paysage contemplé,
œuvre d’art détachée, plus que jamais sœur voulue de la nature.
***
Un peuple convié se livre à la parole accordée par un autre
et dans son amitié reçoit la connaissance de ses désirs.
Naissance annoncée, naissance assumée, ton vouloir sera le mien,
ton ardeur sera la mienne, sans que nos cultures se confondent.
L’étreinte grandit, apprenant à chacun les raisons l’un de l’autre
au point que leurs natures jointes se pénètrent et se démêlent
formant une nation à même de changer le feu en histoire.
***
L’instant désert s’établit sur un plan étroit et indifférent.
Il se tient seul comme si la durée n’avait plus droit d’exister.
Il rebondit dans un creux comme une pensée livrée au non-sens.
Brumeux comme un commencement confus comme un aboutissement
il est choix dévorant d’abandon de soumission d’aveuglement.
Caution d’anéantissement il est sans saveur et sans odeur.
Saisi dans sa parfaite insignifiance il prodigue ses faveurs.
***
Le mutisme qui brise les rapports est le rocher à sculpter
la haine tenace qui roule sur les cous est l’arbre à planter
la rechute qui écrabouille est l’épouvantail à embrasser
la division qui mutile les peuples est le vide où plonger
la mort que les siècles traversent est le tunnel où s’enfoncer
la déréliction que le créateur souffre est la nuit à choyer
pour rejoindre livrée à la lumière la liberté du cœur.
***
Les peuples, de retour de la défaite, tête basse, supplient
la tendresse de leur accorder le pardon qui bâtit le corps,
le mystère qui reconstitue la chair lors de toute débâcle,
le flux qui la livre désemparée à la liberté présente.
Comment donc des abîmes seulement peuvent-ils en être mère ?
Comment donc seul l’anéantissement la rend-elle débordante ?
Quelle est cette liberté que seule connaît désolée tendresse ?
***
De la rose au baiser, par la graine à la feuille, de crème ou d’or,
la nappe est mise. Légère, la table nous reçoit, livrés au
banquet que la maîtresse de maison a imaginé pour nous
tous, autant que nous sommes, nés de l’obscurité par la lueur
douce et forte qui baigne une ville dont les fondations labourent
la terre désormais splendide par ses crevasses. Leur aspect
répugnant éclaire un corps en liberté qui dans la joie se dresse.
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