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LA FORÊT
ou
Le poème de l’incertitude lumineuse
Voici.
Nous sommes à l’orée de la forêt,
en vue d’un chemin
inextricable
et que nous voulons parcourir jusqu’au bout.
Écartons les premiers branchages.
Passons,
le ruisseau franchi,
sur l’autre bord,
celui qui nous emmène là où nous ne voulons aller.
Soyons décidés,
et laissons-nous
détourner
par le vent qui s’infiltre dans le bois.
À l’abandon !
***
L’on croit vite la forêt
disparue,
l’on s’envole ainsi que le sentier,
et retombe
aux pieds de branchages encore à écarter,
devant un ruisseau à franchir à nouveau.
L’on s’efforce de passer,
saisit l’obstacle,
piétine.
L’on regarde, pétri de faiblesse,
l’obscur
qui joint les arbres entre eux.
Une douceur nous atteint.
L’on marche,
sans se soucier,
parmi les sapins couverts de neige.
D’un bois sombre de plus en plus entourés,
nous recevons,
inévitable,
l’étincelle.
***
Et la forêt prend feu,
en un instant disparaît !
Nous sommes là, debout,
ou en marche, ou en vol,
dans un espace
ouvert
qui nous livre l’horizon !
La brûlure est ici,
mais comme guérie,
et sans cesse se ravive,
mais, oh ! pour s’évanouir !
L’incertitude étreint l’univers,
amoureuse
qui ne saurait laisser tranquille
son amant.
L’on progresse
parce que trébuche,
le feu nous consume
telle une jeune pousse
qui n’en finit de surgir !
***
Nous sommes cette jeune pousse,
dont la sève a besoin
d’être consumée
pour la vivifier.
Voici la vie,
qui ne peut se passer de mourir
pour devenir immortelle.
Voici l’homme,
qui ne se lasse d’être seul
pour atteindre son frère.
Voici la forêt,
qui ne cesse de se réduire
pour laisser aller
les voyageurs.
Perdus à la croisée des chemins,
égarement, isolement,
tout n’est qu’illusion,
nous voici, dans le feu,
enlevés,
repris
ensemble
par le vent !
***
Ensemble !
Par quel prodige !
Mais dans l’envol
persiste l’obscur,
l’opacité de l’incertitude,
l’insistance de l’absence,
en tout cas
le domaine privilégié de l’homme.
Et si cette tache dans la clarté
était simplement
notre lien ?
Ce qui freine l’envol,
son élan ?
La forêt enchevêtrée,
la preuve de notre voyage ?
L’incertitude règne !
L’homme ne saurait mieux dire :
c’est elle, bien sûr, sa reine,
qui veut son bien, et l’ordonne.
Loin de le dominer,
elle le sert,
de l’asservir,
elle le libère,
de l’attrister,
elle le comble de joie !
Au fond du bois, il est midi.
***
Midi stable,
dans la forêt pareille au ciel.
L’homme
répand sa couleur
sur le sentier.
Solitude et nuit étreintes
ne savent plus l’empêcher
de prononcer nettement :
Nous voici !
Nous ne connaissons pas le sens
mais nous avançons,
nous sommes éblouis
mais nous regardons,
nous sommes assourdis
mais nous écoutons.
L’incertitude
nous entraîne,
le silence
nous fonde,
nous comblons de biens
notre heure.
***
L’heure de donner,
jusqu’au bout.
L’heure de se lier,
partout.
L’heure de créer,
debout.
La forêt, tel l’univers
qui se diffuse
sans cesse.
L’incertitude,
comme le chemin qui toujours
progresse,
et fonde l’homme.
Il marche,
aux côtés de ses semblables
tous différents,
perdu en eux,
qui lui révèlent
ensoleillée
la direction
de la brise.
***
Nous y sommes.
Le point où nous ne voulions aller.
Le lieu de la dispersion,
de l’écartèlement.
La forêt détruite,
le spectacle de ses vestiges :
arbres abattus,
troncs délaissés,
branches brisées,
feuillages déchiquetés,
qui s’amoncellent,
pour rien.
Inconscients,
ne faisant plus obstacle à rien,
ils laissent venir,
à ras de sol,
d’infimes rayons du soleil,
qui peu à peu s’étendent,
orientent le regard,
rehaussent
les reflets de nos déchets.
Quel est ce jour,
dont les teintes, pastel ou éclatantes,
ocres et rousses,
revêtent
les débris de nos bois
d’une touche
de fondation ?
***
Jusqu’au fond de la nuit,
parmi les arbres tranchés
multiplier sans réserve
l’éclat du soleil !
Parler seul,
parler ensemble,
avancer d’un pas après l’autre,
ne pas nous regarder,
sûrs l’un de l’autre.
La forêt veut l’homme
seulement pour elle.
Il s’y engouffre,
au point de ne plus rien connaître,
là où, précisément,
nous
sommes.
Cette aurore persistante,
tout de suite l’oublier,
voyager comme si,
dans la forêt en plein midi,
toujours la nuit
resplendissait.
***
Nuit dont la dot
a la légèreté
triomphante
d’un ciel bleu,
la couleur
persistante
de la patience,
le son
imperceptible
d’un écho,
qui ne laisse aucun doute
sur la source.
Forêt ou firmament, qui
exalte le voyageur,
l’homme, qui
au sommet de sa solitude
ne connaît que
notre
étoile, qui
au comble de sa lumière
sombre,
et ne laisse luire,
dans les espaces sans cesse à parcourir,
que la forêt,
et son ombre.
***
Dans l’ombre,
embrassant les espaces
s’établit le silence.
À sa suite
l’humanité s’avance.
Tournée vers une reine
muette,
de toutes ses forces
elle la remercie.
Absence de parole,
qui ne cesse
de dire,
de décrire,
de convaincre.
Dans ce désert des mots,
se profile
l’inépuisable talent
de construire.
Sur le chantier
s’établit la lumière,
et son mouvement.
***
Mouvement,
qui sort de la nuit,
et va d’une étoile à l’autre
et revient
plus lumineux que d’abord.
D’innombrables lueurs
se perdent,
meurent,
et resplendit leur firmament.
Astres,
riches en nuances humaines,
qui par leur anéantissement
l’un l’autre se reçoivent
dans le cœur de leur existence.
Du sein de la forêt
se redressent les arbres.
***
Tous les arbres !
Pour le voyageur,
ils deviennent
ses compagnons.
Comme lui,
ils ont traversé
la destruction.
Avec lui,
ils se relèvent,
composent
la forêt du printemps,
écartent
les branches,
franchissent
les ruisseaux,
laissent glisser
les étoiles.
Le chemin se déroule,
protégé par l’obscur,
la marche de l’homme
s’affirme,
entourée de tendresse
par l’incertitude.
***
Dans la forêt
comme dans la tendresse
il y a le temps
du combat.
Lorsque pour rejoindre
l’incertitude
et sa marche
l’homme doit lutter,
ne pas se laisser détourner
par les feuilles d’automne
et leurs ocres séduisants.
Voici l’hiver,
et son corps blanc
qui repose
et féconde
les voyageurs.
Laissons-nous recouvrir
par son silence.
Laissons-nous étreindre
par son sommeil.
Légèrement en dessous
du niveau de la brise.
***
Parmi l’hiver
et son envol blanc
nous nous promenons.
L’homme,
privé comblé de tendresse,
vient à la rencontre
du vent
et de son souffle
froid,
qui réchauffe.
Mystère d’une saison
dont le frisson
rapproche,
dont le givre
illumine.
En voyage,
livré au vent,
l’on
devient créateur
et sculpte le monde
de tendresse.
Par une pluie fine
qui n’en finit plus de nous baigner,
sur la forêt nous régnons.
***
Sur le ciel nous régnons !
La lumière
a saisi la forêt,
l’a remplie de parfums,
l’a imbibée de saveurs.
Le chant
de milliers d’oiseaux minuscules
la porte sur les airs.
L’horizon s’ouvre,
et la déploie,
transparente.
Nous touchons
l’infini.
Quelle est cette balade
ordinaire,
lorsque je n’existe
que pour toi ?
Sous les feuillages toujours verts
je ne cesse de te parler.
Quel est ce ciel
qui nous emmène
et nous recueille ?
Notre forêt,
qui n’en finit plus
de nous envoler…
***
Dans la forêt,
lorsqu’elle s’envole,
nous établissons
notre campement,
installons notre tente.
Nous avons déplié
nos couches sur le sol,
j’affine le repas
pour toi,
tu dresses la table
pour moi, comme tu me le dis.
Tout en devisant,
nous élevons les couleurs du ciel.
Un orage,
qui quelques instants
a troublé notre voyage,
se manifeste comme le prélude
de notre halte dans la lumière.
Assis par terre,
nous nous reposons
dans le langage de la forêt,
oubli,
et sommet,
de notre marche.
***
Il y aura, sans tarder,
notre nouveau départ.
En attendant,
sans attendre,
nous bavardons.
Nous évoquons
les joies des origines,
les accidents de parcours,
les détours,
les retours.
Au fur et à mesure,
sans rien dire
pour ainsi dire,
notre parole
s’appauvrit,
s’évanouit,
laisse resplendir
le langage de la forêt.
Des noms innombrables
le déclinent.
Autour de notre tente,
sans avertir,
des bribes de conversation
s’unissent.
***
Comme si tu portais la forêt
en toi,
et moi comme enterré sous les sentiers,
ta parole verse sa douceur
pour éclairer notre tente,
et moi plus éteint que jamais,
comme si plus rien ne m’importait
sinon le passage
de la lumière.
Soudain,
parmi les bribes éparses de conversation,
au coin d’un détour,
juste là où tu devais
ne pas être,
voici le retour
constant
de ta patience.
Comme si tu portais le ciel
en toi,
et moi comme paralysé sur le sol,
tu me relèves,
nommes au bout de mes doigts
la parole,
répands notre voyage
au sein et à l’entour
de la forêt.
***
Est-ce l’issue
de la promenade en forêt,
cette foule de visages
reconnaissables
et pourtant surprenants
comme si nous ne les avions jamais
rencontrés ?
Nous nous tenons à leurs côtés,
avec l’obscurité,
avec la clarté,
qui nous a pénétrés
au cours de la marche,
au cours de la halte.
Anéantis ! Chacun de nous ?
Oui !
Quel triomphe !
Seuls ! Chacun de nous ?
Oui !Quel peuple !
Jamais le vent n’a autant
soufflé !
***
La forêt !
Comme si je la portais dans mes bras !
Comme si tu la gardais en toi
toujours.
Les voyageurs s’étonnent
et se réjouissent
devant leur domaine.
Aujourd’hui ils le connaissent.
Inquiétude amoureuse,
qui réalise le beau.
Puisse-t-elle ne jamais s’échapper !
Ils replient leur tente,
lèvent le camp,
poursuivent leur chemin
à travers les branchages,
par dessus les ruisseaux,
de l’aube au crépuscule,
et, croirait-on,
tout au long de la nuit.
C’est la terre et son temps
qu’ils parcourent,
ils n’ont à leur donner
que la lumière.
votre commentaire -
Toutes les portes
de notre peuple
se sont ouvertes :
je suis chez toi,
humanité.
*
Maintenant
je veux
me plonger dans la lumière
pour que toi,
tu sois
dans la lumière.
*
Maintenant
que je suis chez toi,
tu me dis,
tu me cries
« J’ai besoin de toi ! »
*
Et toutes tes espérances
et tous tes caprices
se dressent
se rassemblent
dès le premier instant.
*
Il faut
même sans force
creuser la terre
jusqu’au milieu de nous
et en vérité
avec tout notre cœur
fonder
la longue demeure
de tes enfants.
*
À peine l’aube
je tombe,
pour que toi,
tu te lèves.
*
Posséder ta maison,
comment le pourrais-je !
Et pourtant j’essaie,
je m’y affale,
et tu vas mal, bien sûr !
Tu me supplies de me lever.
Je me redresse,
j’hésite, je retombe.
Je t’en prie,
humanité,
exige-moi !
*
Je voulais
venir chez toi.
Maintenant
que j’y suis,
je ne sais pas
être.
*
Ta maison aujourd’hui
n’est pas à habiter,
mais à
élever.
*
Renaissons !
Car tu veux
la lumière !
*
J’ai ouvert,
par erreur,
une porte ;
à l’intérieur
tu m’attendais.
Dans notre intimité
tu ne m’as pas dit
ton malaise,
tu m’as regardé.
Dans ton silence
tu m’as suggéré
la parole.
Dans ton regard
nous avons
resplendi.
*
Nous sommes.
L’œuvre jaillit.
*
Maintenant que nous sommes,
ne pas oublier :
veillons.
*
Avec ma venue,
c’est ma nuit
qui est entrée
chez toi,
le sais-tu,
humanité ?
*
Aujourd’hui,
la nuit
parmi nous
s’est établie.
*
Elle brille de ton éclat,
humanité,
serait-elle
ta sœur ?
*
Je suis
chez toi,
veux-tu être
chez moi,
dans ma nuit ?
*
Je suis venu,
je n’ai rien.
Toi,
tu me donnes
tout !
*
Je me mets à l’écoute
de notre
parole.
*
D’une seule voix
nous suivons
la symphonie.
*
Que tes enfants
resplendissent,
ou s’obscurcissent,
le concerto
nous maintient à leurs côtés.
*
Oui,
parmi eux
il s’agit de creuser.
*
Lorsqu’il pleut,
notre parole
par respect
se tait.
*
La pointe
de notre silence
approfondit
le puits.
*
Notre descente
dans l’obscurité
dérobe à notre vue
tes enfants.
*
Notre séjour
dans le silence
fait signe
à tes enfants.
*
Ce qu’ils l’aiment,
notre noir !
*
Si de tes enfants
nous nous éloignons,
s’élève
peu à peu
leur maison.
*
Maintenant que je suis chez toi,
souvent je reste
en silence.
Aujourd’hui c’est à toi,
humanité,
de parler.
*
Et tu parles !
De nuit,
et de jour,
ton existence
dit
la lumière.
*
Et tu parles !
lorsque nous regardons
des brèches
dans notre maison,
toi, forte et douce !
*
Et tu parles !
lorsque se faufile un doute,
que de ta fidélité
tu balayes,
toi, lumineuse !
*
Blessure en ton corps
est ta parole,
toute lumière.
1 commentaire -
Je me donne à toi,
humanité,
pour marcher
et veiller
auprès de tes enfants.
*
Veiller !
C’est toute ta part,
qui devient la mienne !
*
Par quel mystère
à chaque instant
m’attires-tu à toi
et me tiens-tu
éveillé ?
*
L’impossible pour moi,
tu me le demandes,
pour toi.
Et tu poursuis
ta veille.
*
Dans ma recherche
de toi,
je te trouve déjà
à mes côtés,
patiente.
*
À l’orée de l’univers,
avant le pas
décisif,
comme un cadeau
précieux
encore à ouvrir,
ta patience…
*
Veux-tu me recevoir
dans ta patience
afin que je ne précipite pas
sa lumière ?
*
Aux abords de la beauté ta maison,
je t’en prie
humanité,
maintiens-moi
dans ta patience.
*
L’attente,
avant que je ne me laisse
couler en toi,
fonde
notre œuvre.
*
Tes enfants
s’approchent.
Sois
toujours en eux,
humanité.
*
Parler à tes enfants,
oui,
mais avec en moi
ta grandeur.
*
Ton étonnante
grandeur !
En elle,
tes enfants
sont
des hommes.
*
Au repos
dans ta patience,
où,
avec les absences,
brille
une présence.
*
Ta joie de ma venue
donne
à chaque parcelle
de la terre
un visage de ciel.
*
Tes enfants loin du ciel
me réclament.
*
Étonnante joie,
la tienne,
la mienne,
qui appartient
à notre peuple.
*
Car
me laisser couler en toi
humanité
dépend
de notre peuple.
*
Notre peuple :
forme visible
et ordonnée
de ton histoire.
*
Notre peuple :
histoire
tangible
de ma soif.
*
Forme
inachevée,
prête
à nous surprendre,
à nous donner soif
encore.
*
Forme
déchirée,
qui,
par ce déchirement,
se confirme
peuple.
*
Déchirement qui se poursuit,
semence qui s’enfouit,
à un tel prix
comment ne pourrais-je,
humanité,
t’être fidèle ?
*
Reviennent les oublis,
mais ils s’effacent dans ta passion,
ta décision,
ta reprise en main
de mon
premier matin.
*
Voudras-tu avec moi
demeurer en silence
en cette heure
qui précède l’aube ?
*
Volonté de silence,
afin que je m’efface,
et te laisse
préparer ma venue.
*
Toi aussi,
réserve de silence
pour laisser
que je m’efface
et me soumette
à ton désir.
*
Désir qui se tait
se laisse
entrevoir.
*
Instant qui se retire
pour écouter
ton désir.
*
Que j’écoute,
et me laisse
surprendre.
*
Humilité de l’ancien,
qui se met à l’école
de l’enfant.
*
Tes enfants,
humanité,
m’attendent
pour
m’enseigner.
*
Ton désir,
en son premier matin.
*
Que je l’attende,
ton désir !
1 commentaire -
Sur la pointe des pieds,
humanité,
puis-je venir
auprès de toi
m’abreuver ?
*
D’où viens-tu,
toi qui m’ouvres les yeux
sur une histoire
secrète
infinie ?
*
Humanité,
quelle est cette lumière,
cachée en ton sein,
qui commence à poindre ?
*
Tu es
celle que je ne connais pas,
qui surgit,
incertaine,
à chaque pas
de l’univers.
*
Te voici,
porte des peuples,
douceur
qui les laisse venir.
*
Au loin,
sur des terres inconnues,
tu m’accueilles
chez moi !
*
Mon ciel
n’existe plus.
Nous sommes ailleurs,
au pays du déluge
ensoleillé.
*
Ton amour,
humanité,
par ce néant
brille.
*
Ton ciel
a reçu le mien,
tous deux transformés
en un firmament
noir étincelant.
*
Tu me prends par la main,
tu veux
nous voir peu à peu
découvrir
ton pays.
*
De tes enfants
inassouvis
tu veux
toucher en moi
le malaise.
*
De tes enfants
épris de beauté,
tu veux
contempler en moi
la malédiction.
*
De tes enfants
saisis de violence,
tu veux
pleurer en moi
le désespoir.
*
À l’instant
de notre liberté,
tu me montres
la terre
sertie
dans la lumière.
*
Tu m’invites à table,
parmi tes enfants.
Nous mangeons,
puis tu me demandes
de raconter
mon histoire.
*
Mais où est donc
mon histoire
si ce n’est dans l’avenir,
dans le domaine inconnu
où tu me veux ?
*
Dans l’aridité soudaine,
étonnante,
loin de notre nourriture,
pourtant
royaume
de l’un de tes enfants.
*
Dans le bond en plein soleil,
qu’un autre me suggère
sans regarder
mon passé
ni mes nuits.
*
Dans la liberté qui s’envole,
loin
des détournements,
ou des destructions,
jusque dans les espaces infinis
qui te plaisent,
humanité !
*
Indifférente
à mes forces
à mes faiblesses,
tu me donnes
au service, au bonheur
de tes peuples.
*
Comme tu es belle,
infinie
parce que créée !
*
De ta finitude
tu me revêts,
dans ta multitude
tu me relèves.
*
Pour tes enfants
tu recherches
ma parole
passée par le néant
en vue de ta clarté.
*
Tu es
trésor
inépuisable,
incessante
création.
*
Tu es
la surprise,
qui donne au temps
son imagination.
*
Tu es
la présence,
qui me veut petit.
*
Tu es
l’étincelle,
qui m’éclaire
de tes enfants
la grandeur.
*
Tu es
la conviction,
qui me permet
de m’incliner.
*
En ton sein,
humanité,
me suis-je aujourd’hui
incliné
devant la sensibilité
de ton enfant
et sa blessure à peine guérie ?
*
Tu m’aimes,
incliné,
à ton image,
blessée.
*
Voici notre chance :
ta blessure guérie,
et mon désir
de m’abaisser.
votre commentaire -
Au matin du huitième jour, les créatures ont commencé à conduire le temps de la terre.
***
Les créatures expriment la relation entre elles et donnent forme à la terre.
***
Seules les créatures qui ont perdu la terre apprennent à conduire son temps.
***
Les peuples de la terre perdue ont engendré des experts en conduite du temps.
***
L'origine du temps, l'origine de la terre, a besoin de nous. Lorsque nous y sommes, tout est possible.
***
Une femme, qui ressemble à l'amour, nous a menés jusqu'aux origines.
***
Lorsque nous regardons la terre depuis les origines, chaque être vivant trouve sa place.
***
Les habitants des origines se donnent les uns aux autres.
***
Avec attention, devant un tel trésor.
***
Une parole inédite s'est réalisée, tel quelqu'un qui s'approche.
***
Plongées dans les origines, les créatures se heurtent. Elles donnent à la terre la solidité d'un roc.
***
Plongées dans les origines, les créatures rencontrent le passé et parcourent l'histoire.
***
La violence des conflits intérieurs, au sein des origines, se traduit en tensions extérieures. Les créatures apprennent leur être ensemble. Par la reconnaissance, chacune libre et joyeuse, de sa propre incapacité, elles se dirigent toutes vers la vraie douceur de la terre.
***
Dans le silence, demeure du réel, une présence constante rappelle à l'ordre. Souplesse, vérité perdue, liberté fidèle. Elle plie devant toute résistance, qui ne peut que céder à son tour. Elle est forte, d’une volonté qui trempe l'humanité.
***
La créature cherche l'ombre. C'est alors qu'elle reçoit du soleil lumière et douceur intense.
***
De l'ombre parvient un chant.
***
Le chant reflète soixante-dix sept fois sept couleurs, dont certaines blessées.
***
Le chant est au travail. Il harmonise la terre.
***
Une passion se dresse, d'un souffle qui veut servir la terre.
***
Le chant irrésistible recherche dans son passé les notes jetées dans la terre.
***
Sans la terre perdue, le chant ne serait pas comblé de liberté.
***
Le passé d'un siècle brisé demande aujourd'hui la vertu d'un chant comblé.
***
Le chant, dans ses notes mises à l'écart, reçoit la peur, la misère des hommes, et les exalte.
***
Veiller, avec le chant, au milieu de l'espace, et regarder poindre la clarté, jusqu'aux limites de la mélodie.
***
La mélodie a perdu sa dignité. Elle a eu l'audace de sonner à la maison d'à côté. Elle en a fait sortir les habitants et leur a permis d'entonner la petite musique du donner.
***
Dès qu’ils sont immergés dans la parole, elle leur demande les accords des notes blessées.
***
Le tout, par essence abandonné, nous demande d'exister pour elles.
***
Surprenante et amoureuse telle une adolescente, la clarté, dans sa sagesse, nous essouffle et nous transfère de l'autre côté de l'existence.
***
Choix libre et absolu du tout : lorsque nous sommes là, pour lui, jusqu'au bout, sans mémoire, sans attente, on croirait qu'il s'écarte et nous montre les délaissés, et que nous sommes pour eux.
***
Le tout nous a pris exclusivement pour lui, afin que nous puissions être pour eux.
***
Ils sont la volonté du tout pour nous. Lorsque nous leur parlons, avec eux nous devenons son image.
***
Dans cette image, ou dans le réel, il y a le rien, il y a le tout, il y a ce qui unit le rien et le tout.
***
Cette personne qui unit, portée par notre amour, nous ouvre les maisons d'une multitude. Inévitable, nouveau à chaque coin de rue, le visage blessure.
***
Blessure, visage amour, garant de la lumière.
***
(Dans les coulisses :)
Tout le voyage de ma journée, visage blessure, c'est la conquête de ton cœur. Mais lorsque tu es sûr de moi, tu me renvoies vers l'autre, ce visage toujours présent, que je peux servir. Tu veux que je te perde. Tu me projettes sur la scène, où le poème ne peut que s'adresser à l'autre. J'irai et je lui parlerai.
***
(Sur la scène :)
Le poème est à toi. Aux yeux du visage blessure, tu vaux plus que lui. Pour moi, tu es le trésor qu'il me donne.
***
Une femme vient à notre rencontre. Avec douceur, elle met en nous un souffle de révolte.
***
Nous la suivons dans son effacement. Elle nous forme. En elle, les relations culminent.
***
Elle nous emmène vers le comble de l'humanité, ce corps brisé, rejeté.
***
Avec elle, nous prenons soin de sa maison.
***
Le soir, elle danse et nous entraîne, parce qu'elle appartient de toute la force de son cœur au corps brisé et rejeté.
***
Elle voudrait que nous demeurions toujours à ses côtés. Mais parfois nous la négligeons. Lorsque nous rencontrons à nouveau son regard, elle nous fait voir que nous sommes avec lui, ce corps rejeté, son seul amour.
***
Toujours avec elle, ou toujours avec lui, notre conversation est spontanée, comme la beauté.
***
Le mouvement dans lequel nous nous plongeons a son origine dans le dynamisme inépuisable du corps brisé.
***
Le rejeté et la femme nous emmènent dans une vallée où l'atmosphère qui nous entoure déborde d'immensité.
***
Comment nommer celui qui règne dans cette atmosphère ? L'époux, l'esprit, l'amour : il est tout, la source de notre rencontre.
***
Il est le halo qui nous entoure, l'air que nous respirons depuis le commencement, l'ami que nous connaissons chaque fois que nous échangeons nos paroles.
***
La femme, son épouse, forme en nous des reflets de son atmosphère. Nous devenons les proches du corps brisé.
***
Comme nous participons de son atmosphère, nous disparaissons de là où l'on croit nous trouver et nous apparaissons là où le rejeté nous attend.
***
Là où le rejeté nous veut, nous sommes élevés dans la lumière.
***
Plongée dans le cœur du rejeté, notre relation devient image de la femme.
***
Les brisures du corps : certitude du rejeté, présence de la femme, comble de notre relation.
***
Les brisures portent la vie. Le rejeté s'appelle clarté.
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Nous chantons, dans le chœur des brisures, nous dansons, dans la valse de la clarté, nous célébrons les noces du rejeté.
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