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Il fait soleil dans leur jardin, ils s’en réjouissent.
Quant à moi, heureusement,
j’ai repéré un coin d’ombre, et je m’y tiens :
j’aime encore
les observer,
elle, la femme, lui, l’homme,
et leur manière de se rapporter.
Je suis loin d’être sûr de ce qu’ils sont.
Eux-mêmes, dirait-on, sont incertains sur ce point.
Ils s’estiment, ils se respectent,
cependant leurs paroles divergent.
Ils diffusent de la lumière,
et de la paix,
mais un très léger dandinement
me laisse soupçonner
des doutes intérieurs.
Ce sont les interrogations de l’humanité au cours de son voyage.
Il y a les typiques pas en avant, reculades, arrêts,
espoirs, renoncements, démissions,
et redémarrages !
Avec, chez cet homme, chez cette femme, une nuance :
faire halte, pour eux,
c’est comme parcourir une étape nouvelle,
c’est, en quelque sorte, découvrir une terre inconnue
dans l’immense espace de l’humanité.
À la lueur de cette conviction commune
ils cherchent.
Ils ne connaissent pas les dimensions de la terre entrevue.
Ils ont l’intuition qu’elles sont infinies.
Je me rappelle l’absurdité que, au commencement,
je notais dans la moindre de leurs démarches.
Je suis tenté de la voir de nouveau ici.
L’un semble espérer une infinitude intérieure,
l’autre un dépassement extérieur de toutes les limites.
Écoutez donc le genre de questions que tour à tour ils se posent :
– Quelle terre ne voudrait pas donner tous ses fruits ?
– Quel peuple ne voudrait pas accueillir tous les autres ?
– Quelle espérance ne voudrait pas devenir banquet ?
– Quel amour ne voudrait pas devenir inondation ?
Chaque question, chaque pas,
est un désir qui devine qu’il sera assouvi
et ne sait pas comment.
Vous voyez ?
Je commence à les comprendre, ces deux-là !
J’en deviens lyrique, n’est-ce pas ?
C’est vrai, je m’intéresse à leur recherche.
Au début, je croyais qu’ils savaient tout,
qu’ils étaient parfaitement heureux,
qu’ils me voulaient pour disciple.
Quelle horreur ! Je me rebellais !
Depuis cette fameuse nuit, vous vous en souvenez ?
celle où ils étaient à terre, avec moi,
ils m’apparaissent étonnamment
dans leur ignorance, leur soif, leur tâtonnement.
Ils me plaisent ainsi.
Je le sens : aujourd’hui,
dans leur effacement réciproque,
il y a une aspiration à comprendre
ce que sont des créatures…
Des créatures !
Pour moi, ça n’existait pas !
Ou bien, c’étaient des trucs méprisables !
À les voir, l’homme, la femme, et l’univers qui les relie,
tout ce qui s’appelle créature
prend une amplitude – intérieure et extérieure – sans pareille !
Créatures : eux, bien sûr, mais vous aussi,
et moi… Moi ! Est-ce possible !
Moi, une créature ! Mais non !
Je suis, franchement, comme vous le savez,
un créateur !
Et là, se déclenche le malaise ! Peut-être en vous,
en tout cas en moi…
J’éprouve un sentiment de… décalage.
Comme si je voulais être autre chose que moi-même…
Et eux, qui me regardent… Et leur regard me plaît !
Et je me dis : créature, pourquoi pas ?
Si cela me donne un regard comme le leur,
qui me met à l’aise…
Comme s’ils me disaient :
C’est ensemble que nous sommes créatures,
abondance de créatures…
Je me rends compte de leur grandeur :
ils ont choisi de ne pas exister,
ainsi ont-ils pu se rencontrer
et manifester l’ampleur des créatures.
C’est le parfum qu’ils exhalent
et qu’ils m’offrent.
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De qui vais-je parler ?
De moi ?
Ou de la femme et l’homme ?
Dans la suite de la nuit,
je ne sais plus me moquer.
Dans l’aube nouvelle,
chacun d’eux se tient debout,
n’a pas besoin de l’autre,
mais voit clairement
sans l’autre
son incapacité
de porter l’humanité.
Je ne comprends pas.
Encore ton refrain, me direz-vous !
Détrompez-vous :
auparavant, mon incompréhension
était refus de recevoir ;
maintenant, mon incompréhension
est faiblesse
devant une relation que j’admire,
et à laquelle j’aspire.
L’un ou l’autre pourrait
ne pas se trouver ici.
Celui qui resterait
exprimerait le même désir
de tout donner !
Il ne tiendrait à rien pour lui.
Mais le don a besoin du don !
Le tout a besoin du tout !
Le rien a besoin du rien !
Vous saisissez ?
Moi, je ne suis pas habitué à ce langage.
Dans ma pensée règne une logique
imparable,
qui met l’homme et la femme
toujours ensemble
ou toujours séparés.
Que le séparé n’ait pas besoin du séparé,
cela me dépasse !
Que l’ensemble ait besoin de l’ensemble,
je vole en éclats !
Bref !
Tout cela pour dire que
l’homme et la femme sont ensemble
ce matin
comme s’ils étaient
séparés,
et ce sont eux qui rient… aux éclats
avec délicatesse !
Vous arrivez à suivre, vous ?
Trêve de plaisanterie,
ils acceptent d’être ici l’un pour l’autre
et un jour… éclatant !
reflète leur lumière.
Un embrasement si doux que je pourrais y entrer.
Eux, ne m’appellent pas.
Ils laissent le désir poindre en moi.
Ma célèbre hésitation
hésite à me retenir.
L’accord inouï qu’ils manifestent
semble couronner
les dissonances qui les unissent !
Je suis dans leur jardin.
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Faible ? Non !
Mort ! Je suis comme mort.
Mes… « collègues » aussi, certainement.
Ils ne bougent plus.
Pourtant, sans chercher quoi que ce soit,
je prends conscience…
d’une réalité insaisissable,
qui passe entre la femme et l’homme.
Sans qu’ils manifestent rien.
Quelque chose qui est en eux,
ou entre eux,
depuis longtemps,
et qui demeure
jusque dans leur anéantissement.
Je ne connais pas ce phénomène.
Curieusement, il ne m’exclut pas.
Je pourrais l’aborder.
Il tient de l’homme autant que de la femme.
Tout à la fois, il leur est étranger.
Son histoire s’introduit dans ma pensée.
Je devine
qu’il précède l’homme et la femme.
Comme si eux-mêmes naissaient de lui.
Tandis que je le perçois
les deux commencent à bouger.
Comme s’il les animait de l’intérieur.
Je sais désormais
que je n’hallucine pas.
Ils sont mes compagnons,
qui ont traversé ma nuit.
J’hésite encore.
Comme si je ne savais pas marcher.
Un changement extrême de situation
se déroule en moi.
C’est vrai : je suis mort.
Mais c’est aussi vrai :
je suis vivant !
Je ne comprends pas, mais c’est une évidence.
Comme la relation entre la femme et l’homme
lorsque je la tenais pour absurde et la rejetais.
Quelque chose qui est, et qui n’est pas.
Que je ne vois pas, et que je vois.
Des contraires incompatibles.
Comme l’homme et la femme.
Pourtant inséparables,
et ce phénomène qui maintenant semble
émaner d’eux
et me faire signe…
Un scandale de plus aux yeux de mon être d’avant !
Non contents de surmonter tout ce qui les oppose
la femme et l’homme s’ouvrent
et sont prêts à me recevoir dans leur halo !
J’hésite. Toujours et encore.
Dans la lumière je ne sais pas penser.
Mais ils n’exigent rien de moi.
Ils sont eux aussi
absence de pensée.
Je les regarde,
comme si j’étais à l’aise avec eux.
Seraient-ils
ma famille ?
Ils sont debout, je fais un pas vers eux.
Et ce phénomène !
Ma liberté !
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Je parle,
mais comme si je ne parlais pas.
Je vois,
mais comme si je ne voyais pas.
Une parole m’aveugle
et j’entends d’autres êtres, beaucoup d’autres,
aveuglés eux aussi
par cette parole qui ne dit rien,
par cette vision qui ne montre rien.
À tâtons dans ma pensée
j’essaye de savoir :
et l’homme, et la femme,
sont-ils eux aussi dans l’obscurité ?
Une image floue se présente.
Peut-être que ce sont eux.
Une sorte de lueur émane de leurs silhouettes
mais je ne distingue pas leur assurance,
je ne comprends pas leur culture.
Tandis qu’ils s’approchent
il me semble qu’ils hésitent,
ils titubent même, jusqu’à trébucher.
On dirait qu’ils tentent de s’expliquer,
mais d’après leurs gestes à peine esquissés
les mots de l’un
n’ont pas le même sens pour l’autre.
Seraient-ils à la frontière de la discorde ?
Mais, même s’ils la franchissent, qui s’en réjouira ?
Je ne croyais pas qu’un jour
je les aurais trouvés dans ma nuit.
Quand l’un tombe
l’autre ne le soutient pas
et s’il chute à son tour
le premier n’en a que faire.
Je n’ose plus me moquer d’eux,
il y a du pathétique dans leur errance.
Où donc leur halo s’est-il dissous ?
Leur écroulement
me touche.
Sans même faire un pas
je suis à leurs côtés.
Ou plutôt, à terre, comme eux.
J’ai l’impression qu’ils sont venus eux-mêmes
tomber avec moi.
Même la lune a cessé de passer :
je n’ai plus d’excuse.
Quel est ce noir
qui fait de moi, de l’homme, de la femme,
des compagnons de faillite ?
Pourquoi, sans le vouloir,
sommes-nous étendus
dans un même passage étroit
et inexploré ?
Quelle extrême faiblesse
nous remet dans les mains l’un de l’autre ?
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Ça y est ?
Vous avez cuvé votre vin ?
Il était temps,
n’est-ce pas ?
Vous paraissez plus tranquille.
Mais qu’est-ce que je vois !
La femme devant, l’homme derrière.
Ils ne se respectent plus !
Ils marchent, comme si tout était normal.
Mais autour d’eux
la normalité s’écroule !
Des pans entiers de vérités s’effondrent.
La société est ébranlée dans ses fondations.
Deux personnes qui sont d’accord
– rien que deux ! –
sont à l’origine d’un séisme !
Il faut faire quelque chose !
Il faut les arrêter !
Il faut… !
Mais ils ne font rien, me dites-vous ?
C’est bien là le problème :
aucun motif concret de les appréhender.
Le drame,
c’est que tout simplement
ils sont d’accord !
Avez-vous jamais ouï pareille chose ?
Le pire
c’est que même leur accord,
il est impalpable.
Regardez !
Ils jouent des rôles différents,
ils exercent des métiers différents,
ils parlent des langages différents.
Pour un peu, on ne les verrait jamais ensemble !
Mais ils sont d’accord !
De près ou de loin, ils sont toujours
l’un pour l’autre !
On les mettrait en prison,
leur accord en serait indestructible.
Pourquoi ?
Ils seraient réduits à rien,
on affirmerait qu’ils sont tout !
Pourquoi ?
On les oublierait,
on ferait comme s’ils n’existaient pas,
leur accord s’offrirait à nous comme une lueur
fragile
mais persistante.
Pourquoi ?
C’est une femme, c’est un homme,
ils n’ont rien de commun,
si ce n’est cet accord,
imperceptible, irrésistible.
Rien que cet accord…
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Je ne suis plus qu’un cri.
Ils sont douceur.
Ils sont fermeté.
Je ne saurai jamais les rejoindre.
La nuit tombe
sur mon désaccord.
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