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Du côté de chez l’homme
Je devine
le voyage de l’homme dans son for intérieur,
la trajectoire de sa pensée dans l’univers,
les pauses auxquelles le contraint sa solitude.
Il est entré dans le pays de l’étoile qui meurt.
En ce lieu est invisible sa luminosité.
Comme si lui-même l’avait donnée aux espaces lointains
qui en ont besoin.
Il ne regrette rien.
Il apprend à parler au moyen du silence,
de la source qui se tait,
de la vision qui s’éteint.
Il donne et redonne son cadeau,
dont il ne voudrait,
dans quelque recoin ignoré,
conserver le moindre débris.
De sa pensée, il ne reçoit plus de nouvelle.
Il se tient dans cette mort.
Deviendra-t-il ainsi
l’idée de l’univers ?
En attendant, il y a les instants
qui l’arrêtent,
les minutes qui ne l’emmènent pas,
les heures qui le rendent stérile.
Comment reconnaître, dans ce tremblement de ciel,
l’inspiration oubliée,
le travail inachevé,
le talent handicapé ?
Il croyait atteinte une partie de soi.
Mais tout son être est frappé.
Il voyait endommagé le meilleur de ses outils.
Mais son œuvre entière est altérée.
De cette destruction émane la confiance.
Les murs sont tombés,
la création peut se présenter
comme une étrangère à nul autre pareille.
L’étrangère !
La création qui vient de rien,
l’homme qui a tout perdu,
que dis-je ! qui a tout donné !
Elle attendait au loin,
la place qu’il rendrait libre pour elle.
Un nuage s’écarte, elle aperçoit derrière lui
un angle que l’on désencombre,
elle se prépare, elle s’approche,
elle sait que l’homme ne la reconnaîtra pas tout de suite,
elle, l’étrangère, l’inconnue,
malgré sa douceur.
Je ne le vois plus,
mais je sais qu’il est ici,
mes yeux maintenant se concentrent
sur la silhouette encore imprécise
de l’étrangère, de la patiente,
qui avec délicatesse porte l’œuvre.
Son aspect est inouï,
jamais je ne l’aurais imaginé.
Elle montre une complaisance
qui rend agréable
même la seule annonce
de son arrivée.
Elle est forte, l’étrangère,
et belle,
jusque dans son contour à peine esquissé,
dans ses pas hésitants
qui ne veulent pas
contraindre une créature à la création.
Si j’étais lui, l’étrangère je l’accueillerais
vaillamment !
Mais son histoire n’est pas la mienne.
En ce moment, entre l’homme et l’étrangère
s’interpose le temps
qui fera d’elle un autre lui-même.
Il vient s’y placer,
il veut le laisser agir,
dans le temps il espère
dans son cœur dans son corps
dans sa pensée
la venue de l’étrangère.
Du côté de chez la femme
D’elle,
il est plus difficile, naturellement,
vous le comprenez bien,
que j’imagine les phases de son histoire.
Les deux, dans leur relation, m’ont toujours dérouté.
Mais quand je passe, en tant que narrateur,
ou observateur,
ou simple curieux,
à la description d’elle seule,
je suis absolument décontenancé.
Je dirais qu’elle a la parole rare,
comme si à l’intérieur elle gardait un secret.
On en voit les effets :
lorsqu’elle parle, il me semble qu’en toile de fond
défile un univers précieux, illimité.
Elle dépose les mots sur la table devant nous
et dans nos cœurs s’éveille la liberté.
Nous pouvons les recevoir, les saisir,
les utiliser à notre tour,
ou les orner, les décorer, les garnir, les parer,
les enrichir, les illustrer, les rehausser,
tout lui sera plaisant,
ou judicieux, voire logique,
selon l’inévitable ouverture de sa pensée.
Toute en nuances elle est convaincante.
La force qu’elle manifeste,
elle s’y entraîne depuis son enfance
et à nouveau la reçoit comme de très loin.
C’est à la fois elle-même et bien davantage.
On dirait une pensée toujours en mouvement,
qui jamais n’envahit la terre de l’autre,
plutôt ouvre la sienne et ne craint pas
d’être envahie !
Et si vous croyez vous en rendre maître,
avec subtilité
elle vous orientera vers l’une des régions
qu’elle connaît intimement.
Vous y serez parfaitement à l’aise
et vous y verrez avec joie
combien de découvertes encore vous attendent.
Elle sera votre guide
car elle a choisi d’être votre sœur.
Quelle proximité ! Quelle distance aussi !
Et là non plus, ce n’est pas son mérite.
Elle reçoit à chaque instant
cette immensité.
D’un moment à l’autre, elle pourrait la perdre
si elle ne s’ouvrait pas pour la recevoir.
Aujourd’hui,
dans le doute qui constitue sa relation avec l’homme
elle est
jusqu’à la moindre parcelle d’elle-même
l’intimité avec l’immensité.
Si elle vous laisse avec elle goûter ce privilège
c’est qu’elle vous connaît.
Elle a perçu en vous
ce qui vous éloigne d’elle
c’est-à-dire ce qui vous rapproche,
la différence infinie entre elle et vous.
Infinie : l’essence même de la différence,
qui fait de la femme et l’homme
la nouveauté de la création.
Elle se sait créature,
et par une authentique amitié
ne voudrait pas que vous vous croyiez
autre chose.
Elle est comme un rien,
en qui un tout peut se reposer,
et elle veille sur ce tout
et vous le donne.
Dans cet état de vigilance
sa sensibilité et sa pensée
se relaient
pour manifester la vaste clarté
qui se fait étincelle en son sein.
Elle n’a de cesse qu’elle n’enflamme jusqu’aux ultimes confins de la terre.
Elle sait qu’elle n’est pas seule :
l’humanité,
cette histoire de la femme et de l’homme,
à nous de le comprendre,
à chaque étape et dès l’origine
jaillit incandescente
et dépose des perles de liberté
sur la table de l’univers.
Une troupe inouïe
Naturellement je m’efface
car peu à peu m’enveloppe
doucement
une danse,
la danse de la femme et l’homme,
de l’humanité qui se donne,
des créatures qui toutes à la danse
se développent, s’engendrent à l’infini
comme un rien qui recèle et déroule
un univers !
Le danseur va de désir en désir
comme la danseuse passe d’une étude à l’autre.
L’absence de rencontre est jonction de leurs pas,
la patience, immersion dans la musique,
le silence des mots, étreinte des pensées.
Ils se perdent dans le corps du ballet,
se laissent dépasser par la symphonie,
s’identifient aux dissonances qui en sont le bonheur,
embrassent la solitude de l’œuvre,
se glissent dans l’inestimable rupture de l’harmonie.
D’où proviennent les si nombreuses créatures
qui s’alternent dans la conduite du mouvement.
C’est un bal nouveau,
une troupe inouïe,
dont les cœurs jamais ne se lassent.
Les regards se tournent vers eux
comme à l’aube on cherche
les premiers reflets du soleil levant,
comme on interroge la nuit
lorsqu’elle se nomme lumière.
Elle est lumière
issue de la femme et de l’homme.
Pour eux prévaut la nuit
profonde,
féconde.
En elle, ils choisissent
les notes qui ne sont pas encore audibles,
les accords qui ne sont pas encore visibles,
les harmonies qui ne sont pas encore sensibles.
Dans ce manque, une profusion de rythmes.
Ils engendrent un orchestre
qui connaît les visages de la beauté.
Eux-mêmes vivraient plutôt
dans l’entourage d’une quelconque laideur
dont ils savent, rien qu’à la toucher,
qu’elle est des alliances la splendeur.
Plus leur musique les abandonne,
plus le public fait sien le concert.
Il y a entre eux un silence
qui est intime et complète connaissance.
Ce qui s’entend, c’est le chœur,
dont les multiples voix
semblent chanter une seule parole,
qui rehausse
comme d’une peinture abyssale
les parois du théâtre.
Et même le théâtre, pour la femme et l’homme,
est insuffisant.
Les voici qui sortent.
Ils gagnent les vallées, les collines, les montagnes,
qui comme une mélodie, ou comme une danse,
se déploient dans le monde.
Ils transfigurent les villes,
invitent les peuples à les cultiver, à les habiter,
à les chanter,
à les rendre fécondes.
Ils traversent la stérilité de leur paysage,
dont pourtant ils aperçoivent
la réelle abondance de fruits.
Les peuples, dans la plénitude de leur jour, les cueillent,
les goûtent, les savourent.
Il y a pour l’homme et la femme
une manière d’en jouir sans les tenir.
Lorsque la musique s’arrête,
des multitudes s’avancent,
les simples pas qu’elles font
sont comme des cascades qui se déversent sur le monde.
À l’image de la femme et l’homme
elles se donnent sans le savoir
à une lune absurde
qui compose
les immenses symphonies de la terre.
votre commentaire -
Ce parfum m’imprègne,
comme si l’histoire de la femme et l’homme
entrait dans ma pensée,
dans mon imagination, dans mon corps…
Ils sont allés très loin dans l’atmosphère qui les unit.
Pendant la nuit, elle a, conformément à sa nature,
grandi immensément,
elle s’est implantée infiniment.
Mais, après l’aube radieuse, le climat a changé,
les averses se sont multipliées,
le froid humide a pénétré l’atmosphère.
Un nouveau doute a touché le cœur
de l’homme et de la femme.
Ils ont hésité à poursuivre le chemin de la parole,
qui les transformait, les rendait frère et sœur,
les attachait et les libérait en même temps.
Ils ont tenté d’explorer le chemin du silence :
croire à la réserve que l’on garde,
à la prudence qui voudrait les protéger,
aux précautions qui écarteraient le danger.
Ils ont voulu ouvrir leur chemin à une multitude,
sans passer l’un par l’autre,
sans se permettre de se donner l’un à l’autre
leur liberté enracinée,
leur imagination émerveillée,
leur pensée désireuse de recherche commune.
Une interrogation plane sur eux.
Ils acceptent qu’elle les recouvre de son ombre,
ils ne craignent pas l’effacement.
Soudain une transparence se met à luire
telle une clarté amoureuse qui les met à l’aise.
Ils se retournent l’un vers l’autre.
C’est comme un cadeau qu’ils ouvrent ensemble,
c’est comme un éclair qui envahit de sa lueur
la voûte nocturne et l’attente patiente,
c’est comme une fête dont la durée importe peu
car un instant de ce genre a l’infini en lui
et quand il prend fin la création se répand.
La création ! Ce n’est pas un monde global
qui tendrait à l’abstraction.
Ce sont les créatures ! Et d’abord, ici,
la femme et l’homme.
L’atmosphère qui les unit,
ce qui veut dire leur donne la vie,
veut passer par eux pour faire resplendir le monde.
Parce qu’ils sont des créatures.
Pour la même raison l’un donne l’univers à l’autre.
Les voici, chacun de son côté
seul, debout, pauvre,
pour, en lui, en elle,
entourer de fleurs le firmament et l’offrir à l’autre.
Chacun est comme une étoile qui meurt
et donne sa lumière à l’immensité.
Est-ce rêve ? Ou réalité ?
La femme et l’homme sont des explorateurs
d’une maison encore inconnue
dans le plus vaste des quartiers de l’humanité.
Demeure cachée
pour manifester le peuple qui l’entoure,
Demeure attirante
pour qui regarde les fondations.
Demeure convaincante
pour qui lit minutieusement
les plans visionnaires d’un inépuisable architecte.
La femme et l’homme
savent que la maison se construit pour eux, et par eux.
Il y a les recoins qu’ils observent ensemble,
joyeusement,
il y a les encoignures que, chacun de son côté,
ils examinent lumineusement.
Chaque regard édifie le foyer.
Il y a les portes, innombrables,
qui dépêchent la femme et l’homme
vers les habitations des peuples,
il y a les fenêtres,
abondantes et généreuses,
qui donnent à l’intérieur
le sens des horizons à atteindre.
L’homme offre les démarches de sa pensée à la femme.
Elle lui dépeint les exigences débordantes
de leur cœur.
votre commentaire -
Il fait soleil dans leur jardin, ils s’en réjouissent.
Quant à moi, heureusement,
j’ai repéré un coin d’ombre, et je m’y tiens :
j’aime encore
les observer,
elle, la femme, lui, l’homme,
et leur manière de se rapporter.
Je suis loin d’être sûr de ce qu’ils sont.
Eux-mêmes, dirait-on, sont incertains sur ce point.
Ils s’estiment, ils se respectent,
cependant leurs paroles divergent.
Ils diffusent de la lumière,
et de la paix,
mais un très léger dandinement
me laisse soupçonner
des doutes intérieurs.
Ce sont les interrogations de l’humanité au cours de son voyage.
Il y a les typiques pas en avant, reculades, arrêts,
espoirs, renoncements, démissions,
et redémarrages !
Avec, chez cet homme, chez cette femme, une nuance :
faire halte, pour eux,
c’est comme parcourir une étape nouvelle,
c’est, en quelque sorte, découvrir une terre inconnue
dans l’immense espace de l’humanité.
À la lueur de cette conviction commune
ils cherchent.
Ils ne connaissent pas les dimensions de la terre entrevue.
Ils ont l’intuition qu’elles sont infinies.
Je me rappelle l’absurdité que, au commencement,
je notais dans la moindre de leurs démarches.
Je suis tenté de la voir de nouveau ici.
L’un semble espérer une infinitude intérieure,
l’autre un dépassement extérieur de toutes les limites.
Écoutez donc le genre de questions que tour à tour ils se posent :
– Quelle terre ne voudrait pas donner tous ses fruits ?
– Quel peuple ne voudrait pas accueillir tous les autres ?
– Quelle espérance ne voudrait pas devenir banquet ?
– Quel amour ne voudrait pas devenir inondation ?
Chaque question, chaque pas,
est un désir qui devine qu’il sera assouvi
et ne sait pas comment.
Vous voyez ?
Je commence à les comprendre, ces deux-là !
J’en deviens lyrique, n’est-ce pas ?
C’est vrai, je m’intéresse à leur recherche.
Au début, je croyais qu’ils savaient tout,
qu’ils étaient parfaitement heureux,
qu’ils me voulaient pour disciple.
Quelle horreur ! Je me rebellais !
Depuis cette fameuse nuit, vous vous en souvenez ?
celle où ils étaient à terre, avec moi,
ils m’apparaissent étonnamment
dans leur ignorance, leur soif, leur tâtonnement.
Ils me plaisent ainsi.
Je le sens : aujourd’hui,
dans leur effacement réciproque,
il y a une aspiration à comprendre
ce que sont des créatures…
Des créatures !
Pour moi, ça n’existait pas !
Ou bien, c’étaient des trucs méprisables !
À les voir, l’homme, la femme, et l’univers qui les relie,
tout ce qui s’appelle créature
prend une amplitude – intérieure et extérieure – sans pareille !
Créatures : eux, bien sûr, mais vous aussi,
et moi… Moi ! Est-ce possible !
Moi, une créature ! Mais non !
Je suis, franchement, comme vous le savez,
un créateur !
Et là, se déclenche le malaise ! Peut-être en vous,
en tout cas en moi…
J’éprouve un sentiment de… décalage.
Comme si je voulais être autre chose que moi-même…
Et eux, qui me regardent… Et leur regard me plaît !
Et je me dis : créature, pourquoi pas ?
Si cela me donne un regard comme le leur,
qui me met à l’aise…
Comme s’ils me disaient :
C’est ensemble que nous sommes créatures,
abondance de créatures…
Je me rends compte de leur grandeur :
ils ont choisi de ne pas exister,
ainsi ont-ils pu se rencontrer
et manifester l’ampleur des créatures.
C’est le parfum qu’ils exhalent
et qu’ils m’offrent.
votre commentaire -
De qui vais-je parler ?
De moi ?
Ou de la femme et l’homme ?
Dans la suite de la nuit,
je ne sais plus me moquer.
Dans l’aube nouvelle,
chacun d’eux se tient debout,
n’a pas besoin de l’autre,
mais voit clairement
sans l’autre
son incapacité
de porter l’humanité.
Je ne comprends pas.
Encore ton refrain, me direz-vous !
Détrompez-vous :
auparavant, mon incompréhension
était refus de recevoir ;
maintenant, mon incompréhension
est faiblesse
devant une relation que j’admire,
et à laquelle j’aspire.
L’un ou l’autre pourrait
ne pas se trouver ici.
Celui qui resterait
exprimerait le même désir
de tout donner !
Il ne tiendrait à rien pour lui.
Mais le don a besoin du don !
Le tout a besoin du tout !
Le rien a besoin du rien !
Vous saisissez ?
Moi, je ne suis pas habitué à ce langage.
Dans ma pensée règne une logique
imparable,
qui met l’homme et la femme
toujours ensemble
ou toujours séparés.
Que le séparé n’ait pas besoin du séparé,
cela me dépasse !
Que l’ensemble ait besoin de l’ensemble,
je vole en éclats !
Bref !
Tout cela pour dire que
l’homme et la femme sont ensemble
ce matin
comme s’ils étaient
séparés,
et ce sont eux qui rient… aux éclats
avec délicatesse !
Vous arrivez à suivre, vous ?
Trêve de plaisanterie,
ils acceptent d’être ici l’un pour l’autre
et un jour… éclatant !
reflète leur lumière.
Un embrasement si doux que je pourrais y entrer.
Eux, ne m’appellent pas.
Ils laissent le désir poindre en moi.
Ma célèbre hésitation
hésite à me retenir.
L’accord inouï qu’ils manifestent
semble couronner
les dissonances qui les unissent !
Je suis dans leur jardin.
votre commentaire
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