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La faillite
Je parle,
mais comme si je ne parlais pas.
Je vois,
mais comme si je ne voyais pas.
Une parole m’aveugle
et j’entends d’autres êtres, beaucoup d’autres,
aveuglés eux aussi
par cette parole qui ne dit rien,
par cette vision qui ne montre rien.
À tâtons dans ma pensée
j’essaye de savoir :
et l’homme, et la femme,
sont-ils eux aussi dans l’obscurité ?
Une image floue se présente.
Peut-être que ce sont eux.
Une sorte de lueur émane de leurs silhouettes
mais je ne distingue pas leur assurance,
je ne comprends pas leur culture.
Tandis qu’ils s’approchent
il me semble qu’ils hésitent,
ils titubent même, jusqu’à trébucher.
On dirait qu’ils tentent de s’expliquer,
mais d’après leurs gestes à peine esquissés
les mots de l’un
n’ont pas le même sens pour l’autre.
Seraient-ils à la frontière de la discorde ?
Mais, même s’ils la franchissent, qui s’en réjouira ?
Je ne croyais pas qu’un jour
je les aurais trouvés dans ma nuit.
Quand l’un tombe
l’autre ne le soutient pas
et s’il chute à son tour
le premier n’en a que faire.
Je n’ose plus me moquer d’eux,
il y a du pathétique dans leur errance.
Où donc leur halo s’est-il dissous ?
Leur écroulement
me touche.
Sans même faire un pas
je suis à leurs côtés.
Ou plutôt, à terre, comme eux.
J’ai l’impression qu’ils sont venus eux-mêmes
tomber avec moi.
Même la lune a cessé de passer :
je n’ai plus d’excuse.
Quel est ce noir
qui fait de moi, de l’homme, de la femme,
des compagnons de faillite ?
Pourquoi, sans le vouloir,
sommes-nous étendus
dans un même passage étroit
et inexploré ?
Quelle extrême faiblesse
nous remet dans les mains l’un de l’autre ?
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