• L'ATTENTE

    L’Attente

     

    Il y a les échecs et les refus. Mais autour d’eux, les comprenant, prévaut une douce chaleur. En elle nous sommes chez nous, et l’univers aussi.

    Nous respirons, marchons tranquillement, laissons la pensée fleurir dans une nature intense et sous un ciel sans limites. Ici, nous apprenons à attendre.

    C’est un moment crucial. Le nom de l’attente est : acceptation, des échecs, des refus, et du silence.

    Pas un son. Un silence que l’on ne cesserait jamais d’écouter.

    On dirait la présence de quelqu’un, qui sait se taire, accepter, attendre.

    Une femme ?

    La nature, l’univers, une femme ?

    Parmi les rejets, les blessures et les larmes, un sentiment de perfection.

    L’attente par excellence.

    Elle nous prend en elle, dans l’ignorance nous donne une certitude, dans l’isolement nous attribue des liens.

    La douceur

    nous crée.

     

    Voir le silence. Nous avons besoin de voir le silence.

    Il est ici, à nos côtés, il nous attend et nous n’en faisons cas, dissimulé comme il l’est par tant de bruits et de mouvements.

    Agitation, dispersion, rideaux noirs et épais : c’est en moi qu’ils sont installés. Le silence me demande si je veux bien qu’il leur passe devant.

    Cris et protestations, barricades qui se dressent de plus en plus vite de plus en plus haut. Dans cet espace tumultueux qui nous sépare, le silence souhaiterait venir, et nous unir.

    Il est vaste, et se faufile, multicolore, et invisible, discret, et réjoui, inquiet, mais enthousiaste. Le silence, comment ne pas le reconnaître ?

    Pourtant nous passons sans le remarquer. Las de cette erreur nos yeux commencent à le chercher. En nous, entre nous aussi, s’introduit une atmosphère nouvelle, propice. Elle n’est pas le silence mais elle l’appelle.

    Nos corps sans le savoir se tournent vers lui. Comme si nous lui avions fait signe, il s’approche. À son contact, nous nous rencontrons.


        

    Toujours dans le sein de l’attente laisser resplendir

    les écueils.

    De nuit on ne les voit pas, soudain ils se dressent, on veut les briser.

    Mais comme ils sont beaux !

    De jour on les redoute, on les aperçoit de loin, on préfère changer de route, les esquiver.

    Mais comme ils sont beaux !

    Par expérience sur la carte on les repère, on étudie scrupuleusement comment les contourner, on choisit des zones praticables.

    Mais comme ils sont beaux !

    Les approcher, les aborder, les embraser.

    On apprend la science des écueils, on examine leurs emplacements, leurs apparences, leurs distances, on établit un itinéraire avec eux dans les moindres détails.

    Les approcher, les aborder, les embraser.

    De jour on les recherche, on avance prudemment mais résolument, on manœuvre, on s’arrête, on repart, on leur cède la place.

    Les approcher, les aborder, les embraser.

    De nuit on veille, on redouble de zèle, on progresse lentement mais sûrement, on les devine, comme des lueurs qui nous précèdent.

    Les approcher, les aborder, les embraser.

    Les écueils ! Sans cesse ils nous surprennent. Se laisser brûler par leurs feux, devenir lueurs avec eux, étinceler en eux.

    Rayonne l’attente…


      

    Dans l’attente, maintenant, je goûte, je savoure des graines de la vérité.

    Comment puis-je savoir qu’elles sont de la vérité ? Je l’ignore. Mais leur saveur ne peut me tromper.

    Elles ont touché mon corps, comme jetées par un semeur. Elles sont entrées dans ma chair, se sont laissé couler dans mon sang, ont rendu mon cerveau

    sensible.

    Elles s’introduisent dans ma pensée, la prennent, la pétrissent, la métamorphosent. Puis me la restituent, comme si elle était mon corps.

    Qui donc parmi vous ne veut pas me croire ? La pensée en moi, c’est mon corps, ma chair, mon sang. Elle est la terre fertile, parce que sans cesse labourée au moment opportun, dans laquelle les graines de la vérité

    meurent.

    Dans cette pensée-terre, pensée-chair, pensée-sang, elles se laissent transformer.

    Renaissent.

    Germent.

    Elles attendent, de toute leur vigueur.

    Elles attendent, de toute leur ardeur.

    Elles attendent, de toute leur fureur.

    Car la pensée qui est corps, chair, sang, terre, ne vous laissera pas en paix tant que vous ne l’aurez pas

    reconnue.

    Tant que votre chair n’en aura pas été

    émue.

    La pensée en moi a reçu le cœur pour appeler

    votre sang.

    Dans vos veines, dans vos artères, ma pensée coule puissamment.

    Au sein de son flot impétueux, sa rage s’imbibe de patience. Elle est

    de votre regard

    l’attente.

      

     

    L’attente : pensée maternelle. Tournée vers l’avenir mais complète dans le présent. L’enfant est ici, dans sa totalité. Le poème l’élève.

    Confiance mutuelle entre le visible et l’invisible. Un mot à peine prononcé, et donné, devient réalité. Transparence. Hauteur.

    L’attente est un manque, et un aimant. Une impossibilité, avouée délicatement, et un accomplissement, reconnu sensiblement.

    L’enfant grandit, éprouvé intimement, rassuré pleinement. Ce qui lui manque se dépose en lui, progressivement. Toutes manières qui font de lui un sujet de pensée.

    L’objet est sa vie, et il la réfléchit. Né du cœur et de l’intelligence, il la considère. Son lieu de réflexion est l’attente. Il est en elle le miroir qui manifeste ses attraits.

    Elle est le bonheur de l’esprit, la recherche qui peu à peu exprime la vie, la conscience qui la colorie.

    Elle est la danse du chercheur, le ballet du poème, l’orchestre d’où résonnent les mots.

    Forgés par l’enfant, ils surgissent de la pensée, se dressent, s’ordonnent, décrivent le visage de l’attente.

    Elle est fille de la lumière, épouse de la clarté, mère de la transparence.

     

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    Arletta François
    Mercredi 22 Octobre 2014 à 21:52

    je me laisse à penser le livre ATTENTE de Simone Veil le seul que j'ai lu en philo!

    mats la poésie est plus douce à l'oreille

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