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LA FORÊT
ou
Le poème de l’incertitude lumineuse
Voici.
Nous sommes à l’orée de la forêt,
en vue d’un chemin
inextricable
et que nous voulons parcourir jusqu’au bout.
Écartons les premiers branchages.
Passons,
le ruisseau franchi,
sur l’autre bord,
celui qui nous emmène là où nous ne voulons aller.
Soyons décidés,
et laissons-nous
détourner
par le vent qui s’infiltre dans le bois.
À l’abandon !
***
L’on croit vite la forêt
disparue,
l’on s’envole ainsi que le sentier,
et retombe
aux pieds de branchages encore à écarter,
devant un ruisseau à franchir à nouveau.
L’on s’efforce de passer,
saisit l’obstacle,
piétine.
L’on regarde, pétri de faiblesse,
l’obscur
qui joint les arbres entre eux.
Une douceur nous atteint.
L’on marche,
sans se soucier,
parmi les sapins couverts de neige.
D’un bois sombre de plus en plus entourés,
nous recevons,
inévitable,
l’étincelle.
***
Et la forêt prend feu,
en un instant disparaît !
Nous sommes là, debout,
ou en marche, ou en vol,
dans un espace
ouvert
qui nous livre l’horizon !
La brûlure est ici,
mais comme guérie,
et sans cesse se ravive,
mais, oh ! pour s’évanouir !
L’incertitude étreint l’univers,
amoureuse
qui ne saurait laisser tranquille
son amant.
L’on progresse
parce que trébuche,
le feu nous consume
telle une jeune pousse
qui n’en finit de surgir !
***
Nous sommes cette jeune pousse,
dont la sève a besoin
d’être consumée
pour la vivifier.
Voici la vie,
qui ne peut se passer de mourir
pour devenir immortelle.
Voici l’homme,
qui ne se lasse d’être seul
pour atteindre son frère.
Voici la forêt,
qui ne cesse de se réduire
pour laisser aller
les voyageurs.
Perdus à la croisée des chemins,
égarement, isolement,
tout n’est qu’illusion,
nous voici, dans le feu,
enlevés,
repris
ensemble
par le vent !
***
Ensemble !
Par quel prodige !
Mais dans l’envol
persiste l’obscur,
l’opacité de l’incertitude,
l’insistance de l’absence,
en tout cas
le domaine privilégié de l’homme.
Et si cette tache dans la clarté
était simplement
notre lien ?
Ce qui freine l’envol,
son élan ?
La forêt enchevêtrée,
la preuve de notre voyage ?
L’incertitude règne !
L’homme ne saurait mieux dire :
c’est elle, bien sûr, sa reine,
qui veut son bien, et l’ordonne.
Loin de le dominer,
elle le sert,
de l’asservir,
elle le libère,
de l’attrister,
elle le comble de joie !
Au fond du bois, il est midi.
***
Midi stable,
dans la forêt pareille au ciel.
L’homme
répand sa couleur
sur le sentier.
Solitude et nuit étreintes
ne savent plus l’empêcher
de prononcer nettement :
Nous voici !
Nous ne connaissons pas le sens
mais nous avançons,
nous sommes éblouis
mais nous regardons,
nous sommes assourdis
mais nous écoutons.
L’incertitude
nous entraîne,
le silence
nous fonde,
nous comblons de biens
notre heure.
***
L’heure de donner,
jusqu’au bout.
L’heure de se lier,
partout.
L’heure de créer,
debout.
La forêt, tel l’univers
qui se diffuse
sans cesse.
L’incertitude,
comme le chemin qui toujours
progresse,
et fonde l’homme.
Il marche,
aux côtés de ses semblables
tous différents,
perdu en eux,
qui lui révèlent
ensoleillée
la direction
de la brise.
***
Nous y sommes.
Le point où nous ne voulions aller.
Le lieu de la dispersion,
de l’écartèlement.
La forêt détruite,
le spectacle de ses vestiges :
arbres abattus,
troncs délaissés,
branches brisées,
feuillages déchiquetés,
qui s’amoncellent,
pour rien.
Inconscients,
ne faisant plus obstacle à rien,
ils laissent venir,
à ras de sol,
d’infimes rayons du soleil,
qui peu à peu s’étendent,
orientent le regard,
rehaussent
les reflets de nos déchets.
Quel est ce jour,
dont les teintes, pastel ou éclatantes,
ocres et rousses,
revêtent
les débris de nos bois
d’une touche
de fondation ?
***
Jusqu’au fond de la nuit,
parmi les arbres tranchés
multiplier sans réserve
l’éclat du soleil !
Parler seul,
parler ensemble,
avancer d’un pas après l’autre,
ne pas nous regarder,
sûrs l’un de l’autre.
La forêt veut l’homme
seulement pour elle.
Il s’y engouffre,
au point de ne plus rien connaître,
là où, précisément,
nous
sommes.
Cette aurore persistante,
tout de suite l’oublier,
voyager comme si,
dans la forêt en plein midi,
toujours la nuit
resplendissait.
***
Nuit dont la dot
a la légèreté
triomphante
d’un ciel bleu,
la couleur
persistante
de la patience,
le son
imperceptible
d’un écho,
qui ne laisse aucun doute
sur la source.
Forêt ou firmament, qui
exalte le voyageur,
l’homme, qui
au sommet de sa solitude
ne connaît que
notre
étoile, qui
au comble de sa lumière
sombre,
et ne laisse luire,
dans les espaces sans cesse à parcourir,
que la forêt,
et son ombre.
***
Dans l’ombre,
embrassant les espaces
s’établit le silence.
À sa suite
l’humanité s’avance.
Tournée vers une reine
muette,
de toutes ses forces
elle la remercie.
Absence de parole,
qui ne cesse
de dire,
de décrire,
de convaincre.
Dans ce désert des mots,
se profile
l’inépuisable talent
de construire.
Sur le chantier
s’établit la lumière,
et son mouvement.
***
Mouvement,
qui sort de la nuit,
et va d’une étoile à l’autre
et revient
plus lumineux que d’abord.
D’innombrables lueurs
se perdent,
meurent,
et resplendit leur firmament.
Astres,
riches en nuances humaines,
qui par leur anéantissement
l’un l’autre se reçoivent
dans le cœur de leur existence.
Du sein de la forêt
se redressent les arbres.
***
Tous les arbres !
Pour le voyageur,
ils deviennent
ses compagnons.
Comme lui,
ils ont traversé
la destruction.
Avec lui,
ils se relèvent,
composent
la forêt du printemps,
écartent
les branches,
franchissent
les ruisseaux,
laissent glisser
les étoiles.
Le chemin se déroule,
protégé par l’obscur,
la marche de l’homme
s’affirme,
entourée de tendresse
par l’incertitude.
***
Dans la forêt
comme dans la tendresse
il y a le temps
du combat.
Lorsque pour rejoindre
l’incertitude
et sa marche
l’homme doit lutter,
ne pas se laisser détourner
par les feuilles d’automne
et leurs ocres séduisants.
Voici l’hiver,
et son corps blanc
qui repose
et féconde
les voyageurs.
Laissons-nous recouvrir
par son silence.
Laissons-nous étreindre
par son sommeil.
Légèrement en dessous
du niveau de la brise.
***
Parmi l’hiver
et son envol blanc
nous nous promenons.
L’homme,
privé comblé de tendresse,
vient à la rencontre
du vent
et de son souffle
froid,
qui réchauffe.
Mystère d’une saison
dont le frisson
rapproche,
dont le givre
illumine.
En voyage,
livré au vent,
l’on
devient créateur
et sculpte le monde
de tendresse.
Par une pluie fine
qui n’en finit plus de nous baigner,
sur la forêt nous régnons.
***
Sur le ciel nous régnons !
La lumière
a saisi la forêt,
l’a remplie de parfums,
l’a imbibée de saveurs.
Le chant
de milliers d’oiseaux minuscules
la porte sur les airs.
L’horizon s’ouvre,
et la déploie,
transparente.
Nous touchons
l’infini.
Quelle est cette balade
ordinaire,
lorsque je n’existe
que pour toi ?
Sous les feuillages toujours verts
je ne cesse de te parler.
Quel est ce ciel
qui nous emmène
et nous recueille ?
Notre forêt,
qui n’en finit plus
de nous envoler…
***
Dans la forêt,
lorsqu’elle s’envole,
nous établissons
notre campement,
installons notre tente.
Nous avons déplié
nos couches sur le sol,
j’affine le repas
pour toi,
tu dresses la table
pour moi, comme tu me le dis.
Tout en devisant,
nous élevons les couleurs du ciel.
Un orage,
qui quelques instants
a troublé notre voyage,
se manifeste comme le prélude
de notre halte dans la lumière.
Assis par terre,
nous nous reposons
dans le langage de la forêt,
oubli,
et sommet,
de notre marche.
***
Il y aura, sans tarder,
notre nouveau départ.
En attendant,
sans attendre,
nous bavardons.
Nous évoquons
les joies des origines,
les accidents de parcours,
les détours,
les retours.
Au fur et à mesure,
sans rien dire
pour ainsi dire,
notre parole
s’appauvrit,
s’évanouit,
laisse resplendir
le langage de la forêt.
Des noms innombrables
le déclinent.
Autour de notre tente,
sans avertir,
des bribes de conversation
s’unissent.
***
Comme si tu portais la forêt
en toi,
et moi comme enterré sous les sentiers,
ta parole verse sa douceur
pour éclairer notre tente,
et moi plus éteint que jamais,
comme si plus rien ne m’importait
sinon le passage
de la lumière.
Soudain,
parmi les bribes éparses de conversation,
au coin d’un détour,
juste là où tu devais
ne pas être,
voici le retour
constant
de ta patience.
Comme si tu portais le ciel
en toi,
et moi comme paralysé sur le sol,
tu me relèves,
nommes au bout de mes doigts
la parole,
répands notre voyage
au sein et à l’entour
de la forêt.
***
Est-ce l’issue
de la promenade en forêt,
cette foule de visages
reconnaissables
et pourtant surprenants
comme si nous ne les avions jamais
rencontrés ?
Nous nous tenons à leurs côtés,
avec l’obscurité,
avec la clarté,
qui nous a pénétrés
au cours de la marche,
au cours de la halte.
Anéantis ! Chacun de nous ?
Oui !
Quel triomphe !
Seuls ! Chacun de nous ?
Oui !Quel peuple !
Jamais le vent n’a autant
soufflé !
***
La forêt !
Comme si je la portais dans mes bras !
Comme si tu la gardais en toi
toujours.
Les voyageurs s’étonnent
et se réjouissent
devant leur domaine.
Aujourd’hui ils le connaissent.
Inquiétude amoureuse,
qui réalise le beau.
Puisse-t-elle ne jamais s’échapper !
Ils replient leur tente,
lèvent le camp,
poursuivent leur chemin
à travers les branchages,
par dessus les ruisseaux,
de l’aube au crépuscule,
et, croirait-on,
tout au long de la nuit.
C’est la terre et son temps
qu’ils parcourent,
ils n’ont à leur donner
que la lumière.
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