• Le décor

     

     

    Il y a la mort, et le sauteur solitaire

    bien au-dessus de la barre.

    Il y a la nuit, et le voyageur obscur

    se dirige à vive allure.

    Le poème se brise contre les récifs

    dans le vacarme du vent,

    et revient de la mer par la perte de l'île,

    clair    de la terre à l'envers.

     

    Il y a la ville, rapide et sans soleil,

    où tu ne vois plus le prêtre.

    Il y a le froid, l'éclaboussement de brume,

    au lever du jour les phares.

    La vie se perd et se recherche et se désire

    en femme que tu possèdes,

    et se retire à l'étreinte de ta pensée,

    erreur d'un monde à l'endroit.

     

    Il y a les enfants, leurs cris et leurs plongeons,

    les yeux ouverts sur l'immense.

    Il y a la terre et le soleil qui s'embrassent

    dans l'explosion de l'écume.

    La parole se fraie un chemin vers le jeu,

    descend sur la plage aux mouettes,

    et le chant élève la mort, la nuit, la ville,

    froid de la terre    à l'envers.

     

     

     

     

     


     

     

     

    Un personnage

     

     

    Il voyage, ignore où il va,

    et dans le corps de l'étoile il le sait,

    puisque l'enfant,

    le nouveau-né de tous les jours,

    a incendié ses yeux.

     

    Il n'a pas de place réservée.

    Comment cela se fera-t-il?

    Il n'a prévu aucun travail,

    voilà ses mains vides, et son corps,

    et le voyage dicte la parole.

     

    Il rencontre la clarté,

    reçoit le dieu qui l'a engendrée,

    veut lui répondre,

    espace vide,

    et lui retourne les mots qu'elle a mis en lui.

     

    Une voie rapide,

    et la fatigue du passage,

    et la joie du paysage,

    une voie claire et forte,

    et le doute s'est fait étoile.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

    Les autres

     

     

    Le ciel est bleu, au clair de jour indéfini.

    Les pays du couchant et de l'orient, du Nord

    et du Sud, croisent à l'étoile de midi

    sur une mer merveilleuse en source de l'or.

     

    Nous sommes les voyageurs venus du soleil

    et de la nuit claire, quand le monde commence

    à bondir au-dessus de la vie, tout pareil

    à l'univers de la plus petite semence.

     

    Un visage se perd, et s'enfouit, se retrouve

    au tournant d'un conte sans cesse découvert.

    C'est l'amoureux qui s'éclipse encore à l'envers

     

    du décor, une attente perlée qui éprouve

    l'harmonie. Un orage a la saveur du miel.

    Nous accueillons dans son ombre tout l'or du ciel.

     

     

     


     

     

     

    L'intrigue

     

     

    Cela commence par un corps mort

    qui s'émiette comme un puzzle

    qu'on laisse tomber.

    Des plaques de terre sèche

    sans aucun lien entre elles

    si ce n'est le vide.

    Une longue histoire de séismes

    qui met un terme

    à l'ère de la tranquillité.

     

    Tout est défini, tout est séparé,

    mais il y a les interstices.

    Espaces vides, qui dispersent

    ou qui rapprochent?

    Les personnages se sont bousculés,

    confondus et divisés,

    structurés à l'intérieur de cases

    étouffantes.

    Le récit est interrompu.

     

    Pendant l'entracte, des gouttes d'eau,

    que le public ne remarque pas,

    tombent dans le vide, ou le canal,

    qui s'étend au milieu des acteurs.

    Les hommes et les femmes s'avancent,

    recouvrent la terre d'un manteau

    de nouveau-né plongé dans la mer.

    Le corps, l'arbre de vie, se relève.

    Acte Trois, l'histoire continue.

     

     

     

     


     

     

     

    L'auteur

     

     

    Sur les planches de bois il joue son numéro.

    On ne l'entend pas, on ne le regarde pas.

    Il manie les projecteurs, comme s'il était

    à l'autre bout de la salle, obscur machiniste.

    Il est le chorégraphe, mais seuls les danseurs

    le savent, le public applaudit le spectacle,

    ignore la source, et assume ainsi le rôle

    qu'admirable metteur en scène il lui confie.

     

    Du coeur nocturne de la scène il fait jaillir

    le premier couple, qui ressemble à son histoire.

    Le corps du ballet, et l'être des figurants,

    prennent la forme et la danse de son histoire.

    Vers la gauche et vers la droite, puis vers le haut,

    sa création joue la face de son histoire.

    Lui, il demeure dans le bas et dans l'envers.

     

    Les premiers rôles, tous les acteurs, le public,

    développent sa mise en scène jusqu'au bout.

    Il est toujours sur les planches, mais ne sait pas

    l'air que vont choisir à l'instant ses partenaires.

    On l'oublie, on le trouve, les acteurs le louent,

    l'oeuvre est belle à sa ressemblance insoupçonnée.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

    Dans les coulisses

     

     

    On entrouvre une porte

    sur le calme, sur le chaud,

    qui s'établit côté jardin.

     

    Voici donc les vacances,

    le temps pour oublier tout,

    le lieu de la redécouverte.

     

    Une plage est déserte,

    la mer te laisse la place,

    toutes les étoiles s'étendent.

     

    Côté cour, souvenir

    d'un moineau, pour qu'il s'envole

    plus loin que toute la pensée.

     

    Les mots, d'abord patients,

    se recréent pour tout l'espace,

    se détendent tard dans la nuit.

     

    La surprise se dresse,

    le langage est inconnu,

    le crayon esquisse des vagues.

     

    On a perdu le temps,

    un nouvel acte commence,

    en rupture de ta pensée.

     

     

     

     

     

     


     

     

     

    Fantaisie

     

    Au tournant de la nuit

    sous les gouttes de pluie

    sur le chemin de terre

    en sortant d'une serre

    trois hommes se promènent

    là où la vie les mène

     

    Au virage du jour

    sous le soleil ils courent

    amoureux de la lune

    bondissant sur la dune

    en quête d'un trésor

    plus brillant que la mort

     

    L'histoire part du ciel

    avec un brin de sel

    se pose sur la mer

    avec un peu de fer

    se répand sur le sol

    jusqu'au sommet du col

     

    Les notes de musique

    d'après les lois physiques

    commencent par le la

    et nous parlent tout bas

    dans le fond du silence

    jusqu'au point d'espérance

     

    Et voici les trois hommes

    peut-être quatre en somme

    en suite de l'histoire

    en avance du soir

    au cours de la musique

    au son de la métrique

     

    La note d'espérance

    donne l'air de la danse

    triple saut dans l'espace

    nous regardons en face

    voici la valse humaine

    visage d'une reine.


     

     

     

    Indications scéniques

     

     

    L'atmosphère se referme sur elle-même

    mais les hommes sur la planète sont dehors

    et dedans aussi grâce à ce que leurs mains sèment.

    Ils respirent des liens au large et sur les bords.

    Ouvriers de la mer, ils tissent planche et voile

    pour leur seul navire à destination spatiale.

    Leurs doigts se glissent dans la trame de la toile,

    les danseurs élaborent le concept d'un bal

    des galaxies. On voit des nuages dans l'air.

    Les échelles du soleil couvrent d'un filet

    la ligne d'horizon et l'infiniment clair.

    On pourrait deviner ou prévoir le trajet

    que le vaisseau et son équipage suivront.

    Les hommes et les femmes se lèvent et gèrent

    leur société. Ils feront tout ce qu'ils voudront.

    Le spectateur s'étonne devant ce mystère.

     

     

     

     

     


     

     

     

    Un clown

     

     

    Il y a le silence de toutes les fleurs,

    mais on ne dit aucune d'entre elles muette.

    Un des personnages est tenté par les pleurs,

    mais il ose venir pour payer une dette.

     

    Il s'adresse au public pour le mur à construire,

    il dit la parole de la première pierre.

    En songe il entend des feuilles de laurier bruire,

    il voit leur maison déjà couverte de lierre.

     

    Et le public ne lui dit rien, mais c'est son rôle,

    on n'attend que du clown le talent d'être drôle.

    Donc bravant reniflements et quintes de toux,

     

    il reprend son trombone et grimpe sur sa chaise.

    Personne ne pense qu'il commet des fadaises,

    le silence des fleurs est la dette du fou.

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

    Le souffleur

     

     

    Dans sa tête, enclos protégé contre les vents,

    des tornades de mots s'entassent et somnolent,

    des barrières de neige et des nuages lents

    à demeurer stérile contraignent le sol;

    les arbres sont nus, le ciel gris à s'ennuyer,

    les fenêtres sont closes, l'espace restreint,

    et une vieille balançoire abandonnée

    rend l'esprit à un oiseau que le froid étreint.

    Regarde: ce nuage a l'éclat de la neige,

    ce pré coupé rappelle déjà le printemps,

    une question vivante bourgeonne: que sais-je?

    une réponse est claire: tout s'envole à temps.

    Rien ne s'immobilise et rien ne se disperse,

    les mots, la vie, l'esprit, sans cesse se poursuivent,

    la terre s'active ou se repose, tout berce

    son univers, dans la tête où tous les mots vivent.

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

     

    Mise en scène

     

     

    Il existe une étoile où le rêve devient

    réalité, il est un monde où l'idéal

    devient histoire, il y a une nuit demain

    où l'absent devient présence d'un jour vital.

     

    Sur la scène, conversation imaginaire

    des personnages principaux, constant échange

    de leurs cadeaux, et le troisième millénaire

    s'avance au milieu d'eux en fête de vendange.

     

    Plus qu'un personnage, c'est l'étoile qui reste,

    et l'être proche au sein de la constellation,

    l'espace les engendre, ils ne font aucun geste

    ni ne disent mot hors de son rayon d'action.

     

    C'est la terre et son quotidien, midi et soir,

    ce n'est pas une illusion, mais quelqu'un vivant,

    un regard, une parole que l'on peut voir,

    c'est le rêve qui assume le corps du temps.

     

     

     

     


     

     

     

     

    Le nom

     

     

    Sur la scène la lumière s'éteint. Dans l'ombre,

    l'acteur se tient encore debout, à l'écoute;

    une voix, celle qui un jour lui a dit: monte!

    le retient, bien après le départ de la foule.

     

    Il existe une osmose inouïe entre elle et lui,

    sous le feu des projecteurs, c'est elle, la voix;

    il n'est rien, si ce n'est tout ce qu'elle lui dit,

    il est tout, quand c'est d'elle qu'il tient son savoir.

     

    Les autres comédiens, les danseurs et danseuses,

    ont appris comme lui l'art d'être et ne pas être,

    leur adhésion à ce qu'ils entendent fait naître

     

    leur accord, et ils offrent cette mélodie

    de l'avenir à l'auteur de la symphonie.

    Ils sont la compagnie de la nuit lumineuse.

     

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  • L’Attente

     

    Il y a les échecs et les refus. Mais autour d’eux, les comprenant, prévaut une douce chaleur. En elle nous sommes chez nous, et l’univers aussi.

    Nous respirons, marchons tranquillement, laissons la pensée fleurir dans une nature intense et sous un ciel sans limites. Ici, nous apprenons à attendre.

    C’est un moment crucial. Le nom de l’attente est : acceptation, des échecs, des refus, et du silence.

    Pas un son. Un silence que l’on ne cesserait jamais d’écouter.

    On dirait la présence de quelqu’un, qui sait se taire, accepter, attendre.

    Une femme ?

    La nature, l’univers, une femme ?

    Parmi les rejets, les blessures et les larmes, un sentiment de perfection.

    L’attente par excellence.

    Elle nous prend en elle, dans l’ignorance nous donne une certitude, dans l’isolement nous attribue des liens.

    La douceur

    nous crée.

     

    Voir le silence. Nous avons besoin de voir le silence.

    Il est ici, à nos côtés, il nous attend et nous n’en faisons cas, dissimulé comme il l’est par tant de bruits et de mouvements.

    Agitation, dispersion, rideaux noirs et épais : c’est en moi qu’ils sont installés. Le silence me demande si je veux bien qu’il leur passe devant.

    Cris et protestations, barricades qui se dressent de plus en plus vite de plus en plus haut. Dans cet espace tumultueux qui nous sépare, le silence souhaiterait venir, et nous unir.

    Il est vaste, et se faufile, multicolore, et invisible, discret, et réjoui, inquiet, mais enthousiaste. Le silence, comment ne pas le reconnaître ?

    Pourtant nous passons sans le remarquer. Las de cette erreur nos yeux commencent à le chercher. En nous, entre nous aussi, s’introduit une atmosphère nouvelle, propice. Elle n’est pas le silence mais elle l’appelle.

    Nos corps sans le savoir se tournent vers lui. Comme si nous lui avions fait signe, il s’approche. À son contact, nous nous rencontrons.


        

    Toujours dans le sein de l’attente laisser resplendir

    les écueils.

    De nuit on ne les voit pas, soudain ils se dressent, on veut les briser.

    Mais comme ils sont beaux !

    De jour on les redoute, on les aperçoit de loin, on préfère changer de route, les esquiver.

    Mais comme ils sont beaux !

    Par expérience sur la carte on les repère, on étudie scrupuleusement comment les contourner, on choisit des zones praticables.

    Mais comme ils sont beaux !

    Les approcher, les aborder, les embraser.

    On apprend la science des écueils, on examine leurs emplacements, leurs apparences, leurs distances, on établit un itinéraire avec eux dans les moindres détails.

    Les approcher, les aborder, les embraser.

    De jour on les recherche, on avance prudemment mais résolument, on manœuvre, on s’arrête, on repart, on leur cède la place.

    Les approcher, les aborder, les embraser.

    De nuit on veille, on redouble de zèle, on progresse lentement mais sûrement, on les devine, comme des lueurs qui nous précèdent.

    Les approcher, les aborder, les embraser.

    Les écueils ! Sans cesse ils nous surprennent. Se laisser brûler par leurs feux, devenir lueurs avec eux, étinceler en eux.

    Rayonne l’attente…


      

    Dans l’attente, maintenant, je goûte, je savoure des graines de la vérité.

    Comment puis-je savoir qu’elles sont de la vérité ? Je l’ignore. Mais leur saveur ne peut me tromper.

    Elles ont touché mon corps, comme jetées par un semeur. Elles sont entrées dans ma chair, se sont laissé couler dans mon sang, ont rendu mon cerveau

    sensible.

    Elles s’introduisent dans ma pensée, la prennent, la pétrissent, la métamorphosent. Puis me la restituent, comme si elle était mon corps.

    Qui donc parmi vous ne veut pas me croire ? La pensée en moi, c’est mon corps, ma chair, mon sang. Elle est la terre fertile, parce que sans cesse labourée au moment opportun, dans laquelle les graines de la vérité

    meurent.

    Dans cette pensée-terre, pensée-chair, pensée-sang, elles se laissent transformer.

    Renaissent.

    Germent.

    Elles attendent, de toute leur vigueur.

    Elles attendent, de toute leur ardeur.

    Elles attendent, de toute leur fureur.

    Car la pensée qui est corps, chair, sang, terre, ne vous laissera pas en paix tant que vous ne l’aurez pas

    reconnue.

    Tant que votre chair n’en aura pas été

    émue.

    La pensée en moi a reçu le cœur pour appeler

    votre sang.

    Dans vos veines, dans vos artères, ma pensée coule puissamment.

    Au sein de son flot impétueux, sa rage s’imbibe de patience. Elle est

    de votre regard

    l’attente.

      

     

    L’attente : pensée maternelle. Tournée vers l’avenir mais complète dans le présent. L’enfant est ici, dans sa totalité. Le poème l’élève.

    Confiance mutuelle entre le visible et l’invisible. Un mot à peine prononcé, et donné, devient réalité. Transparence. Hauteur.

    L’attente est un manque, et un aimant. Une impossibilité, avouée délicatement, et un accomplissement, reconnu sensiblement.

    L’enfant grandit, éprouvé intimement, rassuré pleinement. Ce qui lui manque se dépose en lui, progressivement. Toutes manières qui font de lui un sujet de pensée.

    L’objet est sa vie, et il la réfléchit. Né du cœur et de l’intelligence, il la considère. Son lieu de réflexion est l’attente. Il est en elle le miroir qui manifeste ses attraits.

    Elle est le bonheur de l’esprit, la recherche qui peu à peu exprime la vie, la conscience qui la colorie.

    Elle est la danse du chercheur, le ballet du poème, l’orchestre d’où résonnent les mots.

    Forgés par l’enfant, ils surgissent de la pensée, se dressent, s’ordonnent, décrivent le visage de l’attente.

    Elle est fille de la lumière, épouse de la clarté, mère de la transparence.

     

     

     

     

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